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Luberon : « Je ne sais pas où j’habite ! »

En repeignant sa boite aux lettres en rouge afin de mieux localiser sa maison sans adresse, Didier Bailleux s’est épargné de longs et fastidieux radioguidages.

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Vivant aujourd’hui dans le Luberon, Didier Bailleux* proposera désormais régulièrement des chroniques dans nos colonnes. L’occasion pour ce professionnel des médias de nous offrir une vision décalée de la Provence.

C’est par ces mots que j’entame ma conversation avec l’agent Le Floch de la police rurale de Mérindol. Après un bref salut, il me demande : « qu’est-ce que je peux faire pour vous ? ». Il a vite compris que je n’étais pas sous l’emprise de quelques substances plus ou moins illicites ou empreint de confusion mentale qui m’aurait fait perdre tout sens de l’orientation.
En effet, si nous – je dis ‘nous’ car nous sommes deux à partager le même toit – savons encore très bien où nous habitons, merci, nous ne sommes pas en capacité de donner avec précision notre adresse avec un nom de voie et un numéro, comme c’est l’usage. Pour faire en sorte que nous puissions recevoir notre courrier, nous en avons informé le service des postes par l’intermédiaire de son préposé en charge de sa distribution. Et pour tous ceux qui prévoient de nous rendre visite nous avons repeint notre boite aux lettres d’un rouge les plus seyants.

Eviter les longs et fastidieux radioguidages
Tel un phare au milieu de la nuit cette oriflamme colorée fonctionne plutôt bien et nous épargne de longs et fastidieux radioguidages. D’autant plus que les ondes des téléphones portables franchissent très difficilement les vieux murs de la maison. On ne saurait jamais trop vanter les charmes de ces anciennes bastides provençales, quelques soit les circonstances elles nous replongent toujours dans leurs époques.
Nous aurions pu nous en rester là et considérer que tout allait bien. Mais une interrogation nous traversa l’esprit. Depuis plusieurs mois nous attendons notre connexion au réseau internet haut débit, elle nous aurait enfin permis de faire de ce vieil axiome éculé voulant associer tradition et modernité une ‘vraie réalité’.  Mais comment nous attribuer une ligne haut-débit si nous n’avons pas d’adresse précise ? Peut-être qu’aux yeux des opérateurs téléphoniques nous n’existons pas ?

Quelle adresse donner en cas d’appel au secours ?
Tout cela pour en arriver, en une matinée d’automne ensoleillé, dans les services municipaux  de Mérindol, bien décidé à repartir avec l’information tant recherchée : quelle est notre adresse exacte ?  L’accueil y fut aussi bienveillant que compréhensif. « Vous avez tout à fait raison » me lança l’agent Le Floch et il poursuit d’un ton plus grave « Si vous avez besoin de secours quelle adresse allez-vous donner ? ». Argument implacable. Comment n’y avons-nous pas pensé, surtout en ces temps où le principe de précaution semble être devenu pour ceux qui nous gouvernent et nous administrent leur unique priorité ou presque ?
« Allons voir cela sur le cadastre » me lance notre homme tout en m’invitant à le suivre dans son bureau. Une fois installé derrière son ordinateur et l’application concernée ouverte, nous identifions notre parcelle. Et là, ce fut la révélation… Le cadastre nous indique que la voie qui nous dessert et délimite les bans communaux de Mérindol et de Puget-sur-Durance appartient à cette dernière. Il faut savoir que généralement ce type de voie est partagé pour moitié, chacun prenant un côté de celle-ci. Deuxième particularité de notre affaire : la première partie de la voie (avant son intersection avant la D 173) elle est commune… aux deux communes. Fruit d’une histoire sans aucun doute mouvementée.

Une affaire rondement menée
Cette voie appartient à Puget  il faut donc s’adresser à Puget. N’écoutant que son devoir, notre agent prend son téléphone et appelle la personne en charge de l’urbanisme à la mairie de Puget.  « Allo Valérie ? C’est Nicolas… Voilà ce qui m’amène… ». Après lui avoir résumé la situation et notre problème il se propose de lui envoyer par mail copie de la partie du cadastre concerné. Ce qu’il fait dans l’instant. Et me raccompagnant jusque sur le pas de la porte il me promet de me tenir au courant dès qu’il a du nouveau. Je quitte les lieux pas mécontent de ma matinée et plutôt satisfait du fonctionnement de notre administration locale. Quelques heures après je reçois un mail de M. Le Floch** faisant un résumé précis de la situation et des démarches en cours. J’y apprends que le responsable du centre de tri postal de Cadenet, duquel nous dépendons, a déjà aussi été mis sur le coup ainsi que le SDIS (service départemental d’incendie et de secours). Une affaire rondement menée.
Dans la même journée notre agent m’appelle : « J’ai le retour de Puget ! Ils vont inscrire à l’ordre du jour de leur prochain conseil municipal le choix du nom ». Le dossier est en bonne voie aurions-nous pu dire !

La réponse existe depuis 1839
Le lendemain, mail de la secrétaire de la mairie de Puget. Elle s’est plongée dans les archives de la commune, cette voie a déjà un nom et l’arrêté de nomination remonte à 1839. Il s’agit du chemin du Degoutaud dit « le dégoutaou » (là où coule l’eau). Donc plus besoin de conseil municipal, il suffira de mettre un panneau et d’attribuer un numéro. Nous avons ensuite confirmation que le SDIS 84 qui avait déjà enregistré le nom de cette voie côté Puget va le faire aussi pour le côté Mérindol. Nous sommes sauvés !
Ensuite, pris soudain d’une sorte de reflexe primaire, je me connecte sur Google maps pour connaître la position du géant américain sur notre petit problème, dans notre petit coin de Provence… Et je vous le donne en mille notre voie s’appelle le chemin du Dégoutaou. Trop fort google ! Mais 6 mois après cet épisode nous attendons toujours le haut débit.

Didier Bailleux

*Ancien directeur général et directeur de la rédaction de Mirabelle TV (télévision régionale en Lorraine), Didier Bailleux a été auparavant consultant dans l’audiovisuel et à travaillé sur plusieurs projets : TNT, SVOD, services en ligne, création de TV locales. En tant que directeur marketing, il a participé, dans les années 1990 et 2000, à la création de plusieurs chaînes thématiques : Canal J, Voyage et Pathé-Sport. Aujourd’hui, il vit en Vaucluse et travaille sur la production de documentaires consacrés aux terroirs.
**Le nom de l’agent municipal a été modifié.

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