17 mai 2024 | Anne-K Imbert, histoire d’une poétesse de la nature

Ecrit par Mireille Hurlin le 13 mars 2024

Anne-K Imbert, histoire d’une poétesse de la nature

Anne-K Imbert est sculpteure. Sa maison et son atelier se trouvent au milieu de la garrigue de Gordes, au détour d’un dédale de hauts murs de pierres sèches. On y parvient par un labyrinthe d’étroits chemins où il est impossible de se croiser. La nature y bruisse de toute part d’une faune et d’une flore invisibles au premier abord. L’Eté tout y est sec et aride, blanc plutôt que blond. Si la nature y était encore vierge d’habitations, on s’attendrait à y voir surgir le facteur Cheval. Mais c’est Anne-K que l’on y voit flanquée de son chien Haïku, à la recherche de trésors. Cet univers enchanté nourrit son travail de poétesse de la nature d’ailleurs très plébiscité par les galeristes et amateurs d’un art aussi léger que raffiné qui immortalise la caresse d’une ombre ou le souffle léger du vent.

Et puis, sur la gauche, une pierre arbore deux mots
inscrits en métal noir, ‘Les ombres’. On les croirait presque écrits à la plume à distance de la pierre. C’est ici le domaine d’Anne-K et de sa tribu. Dessin, modelage, taille de pierre tendre calcaire, serrurerie, métal à la soudure, ciselure, platine nourrissent son talent pour exprimer, avec une immense légèreté, l’émotion d’un corps, d’une herbacée… Tout ce qui est de l’ordre de la légèreté, d’une nature habitée, structurée, consciente, vivante, vibrante, Anne K met au jour cette géniale architecture aussi miniature que sacrée.

C’est aussi là qu’Anne K arpente les chemins de traverse avec son chien, Haïku
En fait, tout le secret, tout le cheminement d’Anne-K pourrait se résumer à ce très court poème japonais qui immortalise un instant, une émotion. Avec cependant, une différence majeure, celle d’y inscrire, peut-être, une permanence plutôt qu’une impermanence. Lors de ses deux escapades journalières, elle se sent vivante, imprégnée de cette terra incognita, qui s’ouvre peu à peu à elle, comme dans les voiles d’un inconscient savoir païen.

Anne-K y prélève des trésors
exactement comme lorsqu’elle était petite fille sur l’île de Ré. C’est là que s’est forgée sa personnalité, son goût pour les choses simples et en même temps infiniment élaborées et miraculeuses qui nous entourent. Elle s’arrête, prend la photo quotidienne qu’elle postera sur Instagram. Glane une mue de cigale, une défunte mente religieuse verte, statufiée dans son éternité.

Son parcours
Anne-K a commencé comme apprentie sculpteure, à 20 ans, dans l’atelier de Pierre-Miguel Merlet, sculpteur et restaurateur en chef, à ce moment-là, du monument de l’Assemblée Nationale. Elle entre, ensuite, à l’Ecole nationale des arts appliqués Duperré où elle fréquente les cours du soir puis obtient une bourse à la Séma (Société d’encouragement aux métiers d’art) pour la restauration de sculptures et monuments historiques.

Elle expérimente diverses techniques
sur les chantiers de restauration du Louvre, du Père Lachaise, des Archives nationales, du Pont neuf et des Beaux-Arts… Remarquée, elle devient l’assistante des sculpteurs Jean-Michel Othoniel, Laurence Montano et d’Hervé Bourdin.

‘L’art n’était pas ou peu proposé dans les fiches d’orientation’
«Petite, j’étais très bricoleuse et manuelle, se rappelle Anne-K Imbert. Je dessinais, je modelais un peu et puis, à cette époque, les Ecoles d’art étaient moins sur le devant de la scène. Elles ne figuraient pas particulièrement dans les axes d’orientation. Parents et enfants recherchaient de solides formations. C’est ainsi que je me suis retrouvée en fac d’anglais. C’était la meilleure option, une façon de temporiser, afin que je sache ce que je pouvais faire avec mes mains.»

Anne-K Imbert utilise ces pinceaux végétaux glanés dans la nature pour immortaliser ses promenades Copyright Mireille Hurlin

‘Une rencontre qui va tout changer’
«Puis j’ai rencontré un sculpteur, à l’époque restaurateur en chef sur le monument de l’Assemblée nationale. Il m’a accepté dans son atelier en me disant ‘je ne prends pas d’élèves mais mon atelier t’est ouvert.’ Avec, cependant, un avertissement : ‘Si tu veux devenir artiste et créer, tu dois pouvoir en vivre et donc apprendre un métier’. Il m’a proposé d’apprendre des techniques pour la restauration de sculpture, essentiellement sur les monuments, puisque c’était sa spécialité.»    

«Entre 20 et 23 ans, j’ai fait énormément de modelages,
de copies de plâtres, des dessins extrêmement précis. Je l’assistais sur certaines choses. Au bout de trois ans, il m’a proposé de postuler pour une bourse à la Séma, que j’ai obtenue. Ses anciens élèves m’ont alors pris sous leurs ailes m’emmenant sur leurs chantiers. Dotée d’une solide expérience, j’ai commencé à aller de chantiers en chantiers. J’ai participé à de nombreuses restaurations sur les toits et les façades du Louvre, au Père Lachaise, au Musée de l’art juif, les Archives nationales. Mon dernier chantier ? Une tête pour le Pont-Neuf. A ce moment il n’y avait pas beaucoup de femmes sur les chantiers –le travail y était très physique-. Puis les hommes se sont aperçu que nous étions beaucoup sur la délicatesse, la précision. Ce qui fait que l’on me confiait ce qui réclamait rigueur et précision. Nous comprenions nos complémentarités.»

Les monotypes de Anne-K Imbert Copyright Mireille Hurlin

«Puis j’ai trouvé un atelier dans une fonderie industrielle et d’art.
J’ai pu commencer à y développer mon travail personnel entre deux chantiers. A force d’avoir fait des copies, la pierre ne m’inspirait plus du tout. Dans cette fonderie il y avait du métal partout autour de moi et je glanais, autour des ouvriers, les différentes techniques de fonte au sable, à la cire perdue, de tournage de pièces… Je m’exerçais avec les restes de métaux trouvés dans la poubelle de la fonderie. C’est là que j’ai commencé le travail du métal.»

«Puis j’ai rencontré des artistes et j’ai commencé, un peu, à devenir leur assistante.
Je leur préparais leurs modèles en plâtre, en élastomère pour, après, que les œuvres soient fondues. J’ai notamment travaillé pour Jean-Michel Othoniel, qui a remporté le concours pour le kiosque des noctambules, la station de métro Palais Royal, place Colette à Paris.»

Station de métro, le kiosque des Noctambules DR

«Le process ?
Il est arrivé avec ses dessins, sa maquette et il fallait agrandir chaque élément en plâtre, grandeur réelle, pour préparer la fonte en aluminium. Il y avait des colonnes, des grilles, un banc, tout le projet. A partir de ce moment Jean-Michel Othoniel est devenu très connu et a travaillé sur beaucoup de réalisations. J’ai également travaillé pour un agrandisseur de sculpture ; un artiste spécialisé dans le mobilier d’art, avec de grands bas-reliefs en plâtre. Les assistants des artistes ? Ils ne sont jamais cités et je trouve cela dommage. Je pense qu’aujourd’hui les choses changent. Un exemple ? Christian Desailly, qui est un peintre très connu de la région a été assistant de Victor Vasarely. Mais cette reconnaissance est très difficile à obtenir.»      

François Cance et Anne-K Imbert Copyright Mireille Hurlin

«Entre deux demandes d’assistanat, je travaillais le métal
Mes premières sculptures ressemblaient à du dessin dans l’espace, du métal plat travaillé en pleins et déliés. Souvent des silhouettes de femmes. Le challenge ? Créer un volume avec le moins possible de lignes, trouver le juste équilibre et jouer avec la lumière qui donne une autre dimension à l’ensemble. Puis j’ai eu mon propre atelier dont j’ai ouvert les portes lors de journées exceptionnelles ce qui me permettait de me faire connaître, d’être en lien direct avec d’autres publics que la clientèle des galeries qui prennent 50% du prix de l’œuvre. Mes créations n’en n’étaient que plus abordables si les visiteurs de l’atelier avaient un coup de cœur. Je pouvais vendre en direct.»

«Ce qui m’inspire ? La Nature.
Depuis toute petite je glane, ramasse, collecte ces petites choses qui sont comme des trésors. J’en viens même à ne plus vouloir utiliser de métal. Lorsque je me promène, je reviens toujours les poches pleines de petites fleurs, d’herbacées et de graines, fenouils et salsifis sauvages… Puis j’arrive à la fonderie avec ces petites herbes et graines pour les muer en sculptures de bronze. Je travaille ensuite le ‘brut de fonderie’, par un travail minutieux de nettoyage et de ciselure, en utilisant des outils de dentiste comme des fraises diamantées et des petites perceuses.»

La lustrerie Mathieu
«Grâce à François Cance, le président d’Artothèque, j’ai pu aller visiter la lustrerie Mathieu ce qui m’a fortement inspiré. Alors j’ai collecté ces perles qui sont en fait des galles du Chêne de différentes couleurs que j’enfile comme des perles pour en faire un lustre. »  

«Je fais des sculptures d’inspiration Haïku
Les Haïku sont des poèmes d’origine japonaise brefs, célébrant un instant de nature, souvent une saison. Comme d’habitude je voulais raconter une histoire avec très peu. C’est ainsi que je me suis mise à faire ces sculptures exposées dernièrement à la Maison Victoire. C’est comme ces deux papillons qui dansent autour d’une herbe fanée, la danse des papillons. En l’éclairant, les ombres sont projetées. J’aime que cela reste fluide, vivant, léger, en mouvement. Je travaille également avec le fil de métal tissé.»

Anne-K Imbert Copyright Mireille Hurlin

«J’ai commencé à beaucoup produire
Ce travail a commencé à plaire et les galeristes ont diffusé mon travail. Les envolées d’oiseaux sont aussi des modèles récurrents dans mes sculptures. Les demandes ont afflué. Il m’a fallu beaucoup produire, c’était épuisant. Je n’arrivais plus à réfléchir, à penser. C’est là que nous sommes partis de la région parisienne pour vivre ici, à Gordes. J’ai eu mon chien et j’ai pu recommencer à me balader, à renouer les liens avec la nature.»

«Ré-apprivoiser, observer à nouveau la nature
En arrivant, j’ai appris à la ré-observer, à l’apprivoiser, et là, j’ai à nouveau récolté des trésors. Comme j’avais suivi une formation de techniques de gravure aux Ateliers des Beaux Arts, j’ai récupéré, ici, une presse et me suis mise à travailler le monotype avec de grandes plaques de plexiglass transparentes que j’enduis complètement d’encre que je fixe contre une vitre -à la lumière- et sur laquelle je commence à dessiner au moyen de tiges trouvées dans la nature et utilisées comme des pinceaux. »

«Ce qui est extraordinaire ?
La plante contient en elle son propre dessin, ses cannelures. J’utilise tous ces matériaux, y compris des plumes, des graines de glycines qui semblent être en velours, pour dessiner leur univers, en essuyant la plaque, en dessinant en vide. C’est la pensée chinoise qui me guide entre le plein et le vide. C’est le vide qui créé la plante. Ces dessins, conçus à partir de ces ressources naturelles, sont comme mes promenades. Puis je fixe le papier chinois très solide, Wenzhou –préalablement teinté par un jus de café ou de thé, afin qu’il ne soit pas blanc, sur la plaque que je comprime régulièrement sur toute sa surface avec mes mains, ce qui donne ces dessins. J’aimerais en faire des triptyques encadrés de métal.»

Une des boîtes des 4 saisons de Anne-K Imbert Copyright Mireille Hurlin

«Les boîtes des 4 saisons
Alors que je me baladais dans la colline et la garrigue, je pensais qu’il n’y avait rien, hormis des oliviers et des chênes. Et puis j’ai trouvé des trésors et, à partir de ceux-ci, j’ai conçu des boîtes –été, automne, hiver, printemps- compartimentées, accueillant ici des graines, ailleurs des plumes, une mente religieuse, une feuille devenue dentelle… Depuis bientôt six ans que je parcours la colline, ces promenades biquotidienne m’alimentent en nouveau trésors que je glisse dans mon sac rempli de petites boites. Désormais j’immortalise mes trouvailles à la poudre ou à la cire d’or pour en faire apparaitre les moindres structures : résilles, torsades, dessins, veinures, drapés, dentelles, en fait, de la plante, à la graine, en passant par l’insecte, presque invisibles, en l’état, à l’œil nu.»

Dans l’atelier d’Anne-K Copyright Mireille Hurlin

«Regarder la nature, pour s’en imprégner et la respecter
Je veux amener les gens à entrer dans cette petite nature que l’on néglige, que l’on ne voit pas. On parle de sauver les ours polaires alors que pour moi, ils sont loin. Ne devrait on pas sauver ce qui nous entoure ? Cela me réjouis de voir toute cette diversité, cette richesse. Je suis entrée dans cette nature pour la vivre.»

Des boîtes comme des cabinets de curiosité 
«J’aimerais que ces boîtes, que je fabrique moi-même, dont certaines seront façonnées en velours, inspirent des artistes. Qu’un bijoutier, par exemple, la mette en vitrine pour amener les gens à se rapprocher de la nature, en aiguisant leur regard. Qu’à leur tour les gens se perdent dans cette boîte comme pour le temps d’une promenade. Finalement on ne regarde bien que ce que l’on en nomme pas.»

Anne-K Imbert Copyright Mireille Hurlin

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