27 avril 2024 | Avignon, Théâtre du Chêne noir, quand La belle et la bête émergent du futur

Ecrit par Mireille Hurlin le 27 janvier 2023

Avignon, Théâtre du Chêne noir, quand La belle et la bête émergent du futur

La nouvelle création du théâtre du Chêne Noir, écrite et mise en scène par Julien Gélas, a été présentée pour la première fois cette semaine, aux scolaires, et le sera ce samedi et dimanche au grand public. Le spectacle affiche déjà complet mais sera joué lors du festival en juillet.

Les 8 représentations données cette semaine auront accueilli plus de 3 000 élèves et leurs accompagnants, du CE2 à la terminale. Quant aux représentations publiques, elles auront lieu ce samedi 28 à 20h et dimanche 29 janvier à 16h. 

3 000 enfants ont assisté au spectacle de la Belle et la bête

18 mois de travail
Julien Gelas, le directeur du Chêne Noir a travaillé sur La belle et la bête durant plus de 18 mois pour en faire un conte moderne naviguant entre deux univers esthétiques, l’un classique et l’autre mi-contemporain, mi-futuriste. 

Un spectacle hors du temps
Autre particularité, le spectacle est pluridisciplinaire mêlant théâtre, chant, musique, danse, cirque -cerceau acrobatique-, vidéo et escrime. Il est également immersif via des capteurs vidéo interactifs reliés au jeu des comédiens, et à leurs mouvements. Un travail réalisé avec le studio de création Theoriz, qui en a concocté les effets vidéo, projetés au sol et sur l’écran, permettant aux spectateurs de voyager au gré des champs médiéval et numérique. 

Dans le détail
La belle et la bête propose plus de 45 mn de compositions originales de Julien Gelas et de Romain Constant. L’artiste Emma Daumas, auteur-compositeur-interprète originaire d’Avignon a prêté sa voix au personnage de la fée et composé deux morceaux chantés. 
«Emma était venue me voir pour un projet, se remémore Julien Gélas. J’en ai profité pour lui montrer sur quoi je travaillais en lui disant que je ne voyais qu’elle pour interpréter la fée. Elle a écrit deux chansons pendant que je composais au piano. Nous allons concevoir, ensemble, un album de toutes les musiques du spectacle qui sera fin prêt pour le festival d’Avignon.» 

Un conteur 3.0 Copyright Mireille Hurlin

Des costumes connectés
Les costumes et masques contribuent largement à l’enchantement – réalisés par Chouchane Abello, directrice du Conservatoire Européen du Costume à Paris et créatrice de costumes pour le cinéma et le théâtre. Ils ont nécessité l’intervention de 6 personnes pendant plus de 2 mois. «Nous sommes partis des costumes, que nous voulions avec une touche très française, pour créer le spectacle,» a précisé Julien Gélas.

L’interview
«J’ai, depuis toujours, une passion pour les contes et leur symbolique psychanalytique. La belle et la bête en fait partie. C’est aussi un récit très difficile car transgénérationnel et ouvert à tout le monde. J’avais envie de m’y confronter d’autant plus que j’en avais parlé au comédien Jacques Frantz (4.04.1947 et 17.03.2021- voix française de Robert de Niro, Mel Gibson, John Goodman et Nick Nolte) à qui je voulais confier le rôle de la bête, mais qui est hélas décédé.»

Le thème de la jeune-fille qui devient femme
«C’est aussi un thème passionnant avec une jeune-fille qui devient jeune-femme, un sujet peu fréquent en littérature. C’est aussi un conte à la fois existentialiste et humaniste : Au-delà des apparences, faire tomber les masques, devenir soi-même grâce au regard et à l’amour de l’autre. Car la Belle, totalement vertueuse, est aussi prisonnière de l’amour qu’elle porte à son père et à sa famille. En les quittant, elle se confronte à ses peurs, à l’autre, à l’inconnu…  La bête, elle-même, est prisonnière du sort, de sa condition. Un mythe dont on retrouve les racines dans psyché. Ce sont des archétypes intemporels.» 

Un spectacle ouvert sur l’univers Copyright Mireille Hurlin

L’écoute active du spectateur
«Le spectacle s’étend sur 1h30, l’autre pari était de subjuguer les enfants –de la moyenne section jusqu’à la terminale- et effectivement du début à la fin, ils nous offrent une parfaite écoute alors que le panel d’âge est large et les réactions très différentes. J’aime semer ces graines de l’imaginaire pour les générations futures. Je l’avais fait avec le Chaperon rouge avec des textes engagés et, là, travailler sur le futur citoyen, ce qui est pour moi une priorité.»

Beaucoup de techniques
Musique, chant, vidéo, effets spéciaux, costumes, technologie interactive, poésie, acrobatie… C’est la première fois que vous mêlez, sur le plateau, autant de techniques. «Oui, c’est très inspiré d’une tradition issue de l’Opéra de Pékin et aussi enseigné par mon maître, Gao Xingjian prix Nobel de littérature 2 000 que j’ai traduit en français et qui évoque le ‘Théâtre total’. Les acteurs, en Asie, sont formés à tous les arts : arts martiaux, danse, chant, interprétation. Le théâtre est un endroit où les potentialités du corps doivent pouvoir s’exprimer avec le talent des acteurs. C’est la première fois que je le fais avec autant d’ampleur.»

Sur le plan vidéo
«Sur le plan vidéo j’avais également ce souhait : travailler avec de nouvelles technologies interactives au plateau. C’était une première en France, au théâtre. Les comédiens commandent en direct, depuis leurs mouvements et sur le plateau, les effets visuels, au moyen de caméras thermiques positionnées en haut et sur les côtés, détectant les mouvements des comédiens, ce qui déclenche le paramétrage des images. Cette technique avait été utilisée en danse avec Mourad Merzouki. Les images sont projetées au sol et en fond, travaillant sur la perspective et la profondeur. C’est un spectacle immersif dans lequel le spectateur est plongé du premier au dernier rang. Inclure le spectateur dans l’histoire me parait nécessaire.»

Julien Gélas, lors du spectacle Copyright Mireille Hurlin

Julien Gélas
Julien Gélas, époux de Liwen Lang qui interprète La belle –et avant cela Le Petit chaperon rouge– et  Papa de Lorenzo 4 ans et demi et de Marianne, 18 mois confie attendre avec curiosité le retour de son fils ainé «C’est difficile pour lui car c’est un conte mais aussi sa maman qui est sur la scène. Il verra le spectacle dimanche, confie-t-il. Je leur lis beaucoup d’histoires et de contes, j’en profite pour nourrir mes réflexions, observer leurs réactions, j’improvise des phrases. Je m’amuse avec eux et ils m’inspirent.»

La vie d’un spectacle
«La Belle et la bête est un spectacle familial qui s’adresse à tout le monde. Il sera repris lors du festival d’Avignon à 15h30 et tournera partout en France, dans les grandes villes et à Paris, dès octobre 2023 jusqu’en 2025. Le spectacle est également conçut pour vivre à l’étranger –il est pré-vendu au Qatar, Espagne-. Il sera traduit, en sous-titre, en anglais, en chinois.»

Des contes psychanalytiques
«Tout conte de fées est un miroir magique qui reflète certains aspects de notre univers intérieur et des démarches qu’exige notre passage de l’immaturité à la maturité, évoque Bruno Bettelheim dans ‘psychanalyse des contes de fées’. Pour ceux qui se plongent dans ce que le conte de fées a à communiquer, il devient un lac paisible qui semble d’abord refléter notre image ; mais derrière cette image, nous découvrons bientôt le tumulte intérieur de notre esprit, sa profondeur et la manière de nous mettre en paix avec lui et le monde extérieur, ce qui nous récompense de nos efforts. »

La salle applaudit à tout rompre Copyright Mireille Hurlin

En savoir plus
«Le mariage de la Belle et de l’ex-Bête est l’expression symbolique de la cicatrisation de la coupure qui sépare l’aspect animal de l’homme et son aspect supérieur ; explique Bruno Bettelheim, cette scission est décrite comme une maladie : dès qu’ils sont séparés de la Belle et de ce qu’elle symbolise, le père puis la Bête manquent de mourir. C’est aussi le point final d’une évolution qui va d’une sexualité égoïste, immature, (phallique-agressive-destructive) à une sexualité qui trouve son accomplissement dans le dénouement d’une relation humaine profonde : la Bête est moribonde parce qu’elle est séparée de la Belle qui est à la fois la femme aimée et Psyché, notre âme. Au terme de son évolution, la Belle doit s’engager librement dans leur relation amoureuse. C’est pourquoi la Bête, au début du conte, accepte qu’elle remplace son père dès qu’elle lui affirme qu’elle le fait de son plein gré ; c’est pourquoi, lui demandant avec insistance de l’épouser, la Bête essuie des refus sans protester ; c’est pourquoi la Bête ne fait pas un geste vers elle avant qu’elle déclare spontanément son amour.»

Les enfants, enchantés, félicitent les comédiens Copyright Mireille Hurlin

Une nouvelle création du Chêne noir
Ecrit et mis en scène par Julien Gelas. Avec Liwen Gelas, Jacques Vassy, Guillaume Lanson, Océane Rucinski, Holly-Rose Clegg, Max Millet, Renaud Gillier. Avec la voix d’Emma Daumas. Musiques : Julien Gelas et Romain Constant. Assistant metteur en scène : Renaud Gillier. Scénographie vidéo et interactions : Studio Théoriz. Costumes : Chouchane Abello – Conservatoire Européen du costume. Habilleuse : Sophie Mangin. Création lumières : Florian Derval. Son : Noé Courbet. Chorégraphie cerceau aérien : Franck Cole Entrepôle. 

Mon avis
La belle et la bête offre là une formidable épopée parce que le conte est revisité et que la technologie de pointe défie l’histoire, la mise en scène et surtout le jeu des comédiens. Cette immersion dans l’histoire en 3D a enchanté les spectateurs. Le spectacle vit ses premières heures sur scène et est donc en rodage. Dans le public, Julien Gélas note tous les points qu’il reverra, en détail, avec les comédiens à l’issue de la représentation. Car le spectacle vivant demande sans cesse de se remettre à l’ouvrage pour tendre vers l’excellence. Si les comédiens, très vite, emportent le public, ils ont aussi à apprivoiser cette fabuleuse technologie qui s’empare de l’espace, du temps et de décors numériques aussi fabuleux que poétiques. Cela appelle les comédiens à se surpasser, à donner un jeu millimétré comme on intègrerait une à une les pièces d’un puzzle, d’abord entre eux, avec la technologie et avec le public. Celui-ci en est sorti conquis.

Les infos pratiques
La Belle et la bête. Samedi 28 à 20h et dimanche 29 janvier à 16h.Théâtre du Chêne noir. 8, rue Sainte Catherine à Avignon. 04 90 86 74 87. Spectacle complet ne prend plus de réservations.

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