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Debora Waldman, cheffe de l’orchestre national Avignon-Provence

Copyright Lyohdo Koneko

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Rencontre avec Debora Waldman, cheffe d’orchestre, directrice artistique et musicale de l’orchestre national Avignon-Provence et cheffe d’orchestre associée de l’Opéra de Dijon. Elle fait partie des invitées de la soirée ‘Femmes d’action, femmes d’exception, organisée par les Soroptimist d’Avignon qui se déroulera à la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Cité papale, cours Jean Jaurès dans l’intramuros, mardi 26 septembre, à partir de 18h, sur réservation.

«J’ai passé, durant les 10 dernières années, quatre concours français lors desquels j’ai obtenu la direction artistique de l’orchestre national Avignon-Provence. C’est à ma nomination que j’ai su qu’auparavant aucune femme n’avait accédé, en France, à un poste de cheffe d’orchestre », entame Debora Waldman, cheffe d’orchestre Israélo-brésilienne.

«Cela m’a déstabilisé,
me faisant me questionner sur ce que j’avais réellement vécu. Que s’était-il passé dans les 10 dernières années de ma vie entre 30 et 40 ans ? Parce qu’à bien y regarder c’avait été des années d’errance durant lesquelles je n’arrivais pas à obtenir de poste. Ce changement m’a invité, imposé, à réinterpréter ma vie.»

Cette nomination a eu lieu en 2020, avant le Covid
«L’époque du Covid (Ndlr : les premiers cas de Covid ont été déclarés officiellement fin janvier 2020 et le début du confinement le 17 mars. La fin du confinement est intervenue le 3 mai 2021) était particulièrement perturbante puisque nous n’avions plus le droit d’approcher nos publics, d’être au contact des vibrations et de tout ce qui se vit dans une salle. Tout ce que nous avions bétonné était annulé. Il fallait inventer, remonter de nombreux projets, stimuler les musiciens devant les caméras et des salles vides. Je considère que le Covid passé, ma première saison c’est vraiment déroulée en 2022-2023.»

Copyright Nicolas Eudelin

Une profession fermée aux femmes ?
«Je pense que l’accès à ces postes était fermé aux femmes d’une façon non-officielle et sans doute aussi de façon très inconsciente. Aujourd’hui j’ai 46 ans, et l’on confie désormais de grands opéras à des jeunes-femmes de 30 ans, alors que c’était absolument impossible il y a seulement 10 ans. Or, ce n’est pas qu’une question de compétence parce qu’elles ne sont pas meilleures que nous ! (large sourire). C’est juste qu’aujourd’hui, on leur fait confiance … Comme aux hommes. Je trouve cela génial dans l’évolution ! (rires)»

C’est un vrai changement ?
« Oui ! » « Il était temps ? » « Absolument ! Les événements fondateurs de ma carrière ? Je suis quelqu’un qui veut toujours aller au-delà. Si je n’arrive pas à faire un pas, j’en fais un plus grand. J’anticipe beaucoup. » « Pourquoi ? » « Pour aller au-delà , pour aller plus loin. Les évènements fondateurs dans ma vie ? Ce sont ma famille, ma mère, qui m’a transmis la direction d’orchestre parce qu’elle était elle-même cheffe d’orchestre. Sans elle, je n’aurais pu l’être ou … Peut-être avocate. Elle m’a dit : « dirige ! » « et j’ai tellement aimé cela –j’avais 17 ans- que j’ai décidé de devenir cheffe d’orchestre. Depuis, je la remercie tous les jours d’avoir décelé ce potentiel en moi.»

Vos deux parents sont artistes musiciens ?
«Ils sont tous les deux guitaristes. Mon père sur un répertoire brésilien populaire et ma mère, qui a parcouru le monde entier en tant que cheffe d’orchestre et m’a amenée avec elle en Israël, puis en Argentine. Mes instruments ? J’ai joué du piano puis de la flûte traversière. »

«Le deuxième événement fondateur a été de venir à Paris lorsque j’avais 20 ans,
en tant que touriste. Je suis tombée amoureuse de cette ville. Tout d’abord de toute cette beauté et de cette luxuriance de culture qui n’existe pas en Amérique du Sud. J’ai fait tous les musées en 10 jours ! Ce que j’ai ressenti ? L’investissement du gouvernement français à investir dans la culture. Un exemple ? Je ne pouvais pas croire qu’une Cité de la musique –qui se situe à Paris et à Marseille- existe ! Je me suis étourdie de culture et me suis jurée de revenir en Europe, une fois mes études achevées.»

«Le troisième événement fondateur a été mon retour en Europe,
lorsque je suis entrée au Conservatoire de Paris en tant que cheffe assistante du Maestro Kurt Masur, ce qui constitue mon 4e événement fondateur avant ma nomination qui est donc le 5e évènement fondateur. Tout cela disait que ça n’était pas moi le problème mais que le monde n’était pas prêt à accueillir mon talent (rires). »

Copyright C. Abramowitc

«Comment ai-je abordé ma carrière et surmonté les épreuves ?
Toujours en essayant de persévérer, ce qui est une constance chez moi. L’impossible n’existe pas. J’ai toujours en tête cette phrase de Daniel Baremboim qui dit ‘j’aime ce qui impossible !’ Moi, j’adore ce qui est impossible. Je ne veux pas me limiter.»

« A-t-il fallu que je montre plus de compétences que les hommes pour accéder à ce poste ?
La nouvelle génération commence à jouer à rôle égal avec les hommes. Ça a commencé. Les jeunes filles sont désormais plus poussées à être visibilité. On leur montre qu’il est possible qu’elle fasse la même chose qu’un homme. Alors qu’elles n’ont que la trentaine, ça y est, leur carrière est lancée, leurs agendas se remplissent et elles s’épanouissent sur de belles et grandes scènes. Nous aurons obtenu la parité lorsque nous ne nous poserons plus la question. Mais dans ma génération, nous n’avions pas d’autres choix que d’être les meilleures. Il fallait toujours prouver 15 fois plus notre valeur, et si cela n’était pas le cas, nous ne survivions pas. Parfois encore, je sens qu’il faut que je marque trois buts pour que tout le monde en remarque un seul.»

Les obstacles qui ne s’effacent pas ?
«S’ils ne s’effacent pas, ils peuvent se franchir. Ma génération ne se permettait pas de faire ce qu’un homme faisait. Je crois que, de façon inconsciente, nous croyions que c’était possible mais… pas vraiment… Ce sont comme ces barrières psychologiques que ressentent les joueurs de tennis qui pensent qu’ils ne peuvent pas vraiment gagner, alors qu’ils le peuvent. J’ai compris, récemment, que ces barrières se travaillent. Peut-être qu’à un moment, je ne me suis pas permise de faire comme un homme. Aujourd’hui je me le permets parce que je ressens que le monde est aussi prêt à accueillir la place des femmes. Donc je prends ma place.»

Les avantages et les inconvénients à être une femme dans mon métier ?
Avantages ? (Rires) Non, il n’y a pas d’avantages à être une femme dans mon métier, mais il y a cette question de la temporalité. Alors que je conversais avec le grand chef d’orchestre François-Xavier Roth, dont j’étais l’assistante, il me disait : ‘Que c’est bien, tu es une femme et c’est le moment, pour toi, de décoller !’ J’avais 34 ans et l’annonce qu’il faisait de ma carrière a finalement marqué 10 ans de retard. En France, pendant 10 ans je n’ai pas pu décoller.»

«La seule fois où j’ai ressenti qu’être une femme était un avantage ?
Non, je n’ai pas ressenti cela mais l’on est obligés, aujourd’hui, de mettre les jeunes filles en lumière. Ce qui sont à la base de cela ? Les hommes et les femmes politiques ! Car il s’agit bien d’une décision politique, peut-être prise entre 2017 et 2019 afin que les femmes cheffes d’orchestre apparaissent, d’un seul coup, sur les brochures de la Philharmonie de Paris, pour la saison 2019-2020. Ces mêmes femmes ne sont pourtant pas nées d’hier, mais si vous regardiez les brochures précédentes, elles n’y apparaissaient pas, à moins qu’il ne s’agisse d’un concert pédagogique ou familial. C’était une façon de montrer que la parité était appliquée. 2019 a été, pour moi, une année de déclic. Désormais ? Cela arrive très vite, donc je suis très optimiste pour la suite. Quant à l’école de chefs d’orchestre ? Elle compte 50% de femmes.»

Copyright Lyohdo Kaneko

Vous êtes née au Brésil, avez grandi en Israël, habité en Argentine et vivez désormais en France, dans quel pays la place des femmes vous paraît elle la plus reconnue ?
«Le pays le plus avancé sur le statut de la reconnaissance des femmes au travail me semble être, de loin, être Israël. Mais pas dans la sphère religieuse. J’ai étudié dans un environnement laïc où nous étions éduquées comme les garçons. Puis je me suis renseignée dans les récits bibliques où la femme est tout de suite mise en parité. Je constate également que celle-ci est en cours dans les mouvements religieux. Les femmes sont aussi des fondatrices dans les religions comme le montre, par exemple, la Bible où, dans le couple de Sarah et Abraham, Sarah est l’égale d’Abraham et sa personnalité n’est pas amoindrie dans les écrits. J’y vois une ouverture avant l’heure. J’espère que la femme sera désormais plus reconnue par et dans les mouvements religieux.»

Le mot de la fin ?
«Les jeunes femmes n’auront pas le même problème que nous, qui nous interdisions de prendre une autre place que celle qui était inscrite dans notre inconscient, ou encore, dans la nécessité de rester discrète. Le monde a vraiment évolué et la femme commence à prendre sa place. Ça n’est pas pour cela qu’il faut baisser son propre niveau d’exigence et continuer à persévérer et à progresser dans son propre cheminement. En un mot ? Que les femmes soient elles-mêmes !»

La soirée Femmes d’action, femmes d’exception organisée par le club Soroptimist d’Avignon
Mardi 26 septembre 2023. A partir de 18h. Billets ici. Tout le programme ici.

Copyright Manuel Gouthière
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