12 juillet 2025 | (Vidéo) Interview de Bruno Catalano, ‘Le père des voyageurs’

Ecrit par Mireille Hurlin le 11 juillet 2025

(Vidéo) Interview de Bruno Catalano, ‘Le père des voyageurs’

Bruno Catalano crée des silhouettes évidées, comme en suspens, des voyageurs en bronze, éternellement jeunes et beaux. Nous l’avons rencontré lors de la promotion du spectacle de danse ‘Fragment(s)’ de Jade Janisset, autour d’une de ses œuvres, à l’espace Alya jusqu’au 26 juillet à 20h30, lors du festival Off 2025 d’Avignon.

Comment tout a commencé
L’idée de Fragment(s) à germé le 18 mai 2024, à New York, au coin de Park Avenue et de la 38e rue. A l’occasion du vernissage de l’exposition intégrant la nouvelle sculpture Voyage à New York de Bruno Catalano, Jade Janisset a proposé une performance en extérieur, avec des danseurs, autour de cette nouvelle œuvre. La sculpture de Catalano, personnage scénique à part entière, est le centre des échanges et discussions mouvantes avec les interprètes. Fragment(s) transcende les frontières de la danse contemporaine, jazz et hip-hop pour raconter une histoire profondément humaine. 

J’ai commencé à sculpter
«J’ai commencé à sculpter à 30 ans et à bien gagner ma vie à 45 ans, se souvient Bruno Catalano. Avant ? J’avais appris le métier d’électricien. Puis j’ai eu envie de changer de métier. Ma première œuvre ? Le buste de mon père. C’était pour lui prouver que j’étais sculpteur. J’ai commencé à exposer en 2005, à la galerie Médicis, place des Vosges à Paris, puis toutes les galeries m’ont mis le grappin dessus.»

Bruno Catalano Copyright MMH

Chaque sculpture immortalise une vraie personne 
«Chaque sculpture est faite d’après une modèle réel, des vrais gens de la vie. Au départ, je me sculptais moi-même, mais il me fallait un nouveau challenge : Étudier le visage, le corps, la posture, travailler la ressemblance. Vos sculptures arborent toutes une valise ou un sac de voyage, pourquoi ? Parce qu’il y a comme un déracinement. Je viens du Maroc. J’ai dû partir avec des valises et arriver en France. J’avais 10 ans.  Et donc, avec mon frère, ma sœur, mes parents, on est partis vraiment avec des valises, en disant, on s’en va du Maroc, on ne reviendra plus.»

Comme un déracinement
«Il y a comme un déracinement qui s’est installé dans mon âme. Et quand j’ai commencé à faire de la sculpture, effectivement, j’ai travaillé assez rapidement le thème du voyage. Je me suis interrogé sur ça, et aussi sur le voyage mental. Au fil de la vie, j’ai perdu des êtres chers, des choses. C’est touchant. L’âge venant, on se déleste. Et j’ai incorporé ça dans ma sculpture, pas en réfléchissant le soir mais en  dessinant.»

Cyrano de Bergerac et l’accident de fonderie
Comment est intervenu ce déchirement de la silhouette ? «Tout a commencé par un accident de fonderie. J’avais exécuté un Cyrano de Bergerac de 30 cm sur lequel j’avais passé beaucoup de temps et une faille a détruit le corps. En regardant la sculpture –j’avais déjà entre 10 et 12 ans de métier- je me suis dit que je ne pouvais pas jeter cette sculpture, ni gaspiller autant d’heures de travail.»

Des silhouettes déchirées
«Le premier visage de cette sculpture évidée, c’était donc Cyrano. Je me suis dit : je vais lui couper le ventre, mais je garde au moins la tête, son chapeau, sa plume et ça a découlé… Sur quelque chose d’assez exceptionnel. Une représentation qui n’existait pas dans le monde de la sculpture. C’est lorsque vous vous démarquez des autres que le succès arrive. Après, je ne pouvais plus lâcher l’histoire. Quelque fois, je fais de nouveaux travaux.»

Entre la matière et immatérialité
«Et puis, vous savez, on possède deux cerveaux, un dans la tête et un dans le ventre. Et il y a ce lien entre eux. Le cerveau, il nous déconnecte, il est le lien avec l’immatériel. Le ventre représente la matérialité, les besoins primaires. Finalement, on peut tout mettre dans le vide, ce qui nous fragilise, que l’on veut cacher…L’art c’est un peu se prendre pour Dieu et Dieu est immortel. Vous vous sentez immortel ? A 30 ans oui, maintenant non. Quand l’âge approche on réfléchit autrement. Mais ma sculpture va devenir immortelle.»

Copyright Valentin Freland C-Jay Art

L’un dans l’autre
«Maintenant, j’incorpore, dans mes sculptures, un effet miroir. Parce que le bronze, quand on le polie, devient miroir. Et c’est assez intéressant parce que les gens s’approchent et regardent leur propre reflet dans la sculpture. J’aime bien aussi quand les gens s’approchent pour regarder ce qu’il se passe. Vous voyez ? Je mélange le miroir au voyage aussi.»

Vous sculptez des enfants ?
«Non.» On ne touche pas à l’enfant ? «Non, on ne le déchire pas..» Et les personnes âgées ? «Ça m’est arrivé. J’ai organisé un concours où les gens posaient. Je choisis les gens. Et là un homme et sa maman, malade, avançaient tous les deux, lui, lui tenant la main et une valise. J’ai sculpté sa maman parce que tous les deux m’avaient touché. » Pourquoi ? «C’est lui qui lui tenait la main alors, que bien des décennies avant, c’avait été elle.»

Bruno Catalano est issu d’une famille sicilienne installée au Maroc où il est né en 1960 et a vécu à Marseille. Il réside désormais à Crest et réalise 10 voyageurs par an, chacun en trois exemplaires : 45 cm –la taille de prédilection pour travailler le visage et la posture ; 1m ; puis à la grandeur nature de son modèle.

Les infos pratiques
Fragment(s) de Jade Janisset avec Ayoub Abekkane, Romane Bigey, Emilie Briaumont, Jade Janisset, Paco Lemoine, Camille Letullier, Inès Saidani, Oussama Elyousfi-Lemghari. A travers gestes et silences, Fragment(s) explore la construction de l’identité, le manque, la quête de soi, et la résilience. Festival Off d’Avignon. Jusqu’au 26 juillet. Relâche les 16 et 23 juillet. 20h30. Durée 1h05. Salle A. Espace Alya. 31 bis, rue Guillaume Puy à Avignon. Tout public. A partir de 7 ans. De 10€ à 20€. 04 90 85 13 08. Réservation ici.

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