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Jours sans faim, ou comment survivre à l’adolescence

Jours sans faim

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Le premier ouvrage de Delphine de ViganJours sans faim’ a été adapté en pièce de théâtre par Violaine Brébion et mis en scène par Xavier Clion. La pièce actuellement jouée au Festival off d’Avignon est sensible, intelligente, truffée d’humour et merveilleusement rendue au public. Une gageüre tant le sujet, l’anorexie mentale, plonge dans l’horreur. Et pourtant c’est bien, ici, un cheminement au cœur de l’être qui propose de nous grandir tous. Jours sans faim c’est actuellement au Théâtre des trois soleils à 14h50, relâche le 26 juillet, à Avignon.

On se rappelle l’incroyable roman ‘Rien ne s’oppose à la nuit’ de Delphine de Vigan qui aura accompagné la vie de plus d’un million de lecteurs. Pourtant, avant, il y eut «Jours sans faim» publié en 2001 sous le pseudonyme de Lou Delvig relatant le combat mi-fiction-mi-autobiographie d’une jeune-fille de 20 ans se battant contre l’anorexie. C’est justement le sujet dont s’est emparé Violaine Brébion, interprétant Laure, cette jeune-fille fragile qui ne pèse plus que 36 kilos frappant ainsi aux portes de la mort tandis que Xavier Clion, le médecin de l’hôpital, lui demande, inlassablement, de choisir la vie plutôt que la mort.

«L’anorexie mentale est une maladie très complexe. Une maladie de l’hypersensibilité et de l’appétit de vivre, un appétit si encombrant qu’il se retourne contre soi», explique l’écrivain Delphine de Vigan qui en a souffert de 17 ans à 20 ans et qui fut hospitalisée durant 6 mois, à 20 ans, à l’hôpital Bichat à Paris.

Delphine de Vigan, Violaine Brébion et Xavier Clion

L’interview

Delphine de Vigan
«J’ai porté ce texte très longtemps en moi, écrivant beaucoup à l’hôpital. Le médecin, qui me voyait rédiger sur mes petits carnets, me disait : ‘Alors, à quand le roman paru chez Stock ?’ C’était un peu comme un caillou resté dans ma chaussure.» A 35 ans, soit 15 ans après l’événement, jaillira ce texte.  «Je ne voulais pas que ce soit seulement un témoignage sur l’anorexie mais un matériel littéraire au même titre que l’amour, le deuil, la séparation. Le temps de l’écriture puis l’usage de la 3e personne du singulier m’ont permis de travailler l’humour, les personnages secondaires, la dramaturgie. Je voulais qu’il y ait une vraie sobriété, une tenue, dans ce texte.»   

Une pièce de théâtre pour aider les jeunes, les adolescents ?
«C’est plus un texte sur l’entrée dans l’âge adulte, presque un roman d’apprentissage, que seulement un roman sur l’anorexie, précise Delphine de Vigan. La maladie étant un symptôme à un moment de cette souffrance. Cela pourra, peut-être, éclairer quelque chose en eux. De nombreuses jeunes-filles m’écrivent me disant avoir lu le livre et en avoir été aidées. Certaines me disent avoir arrêté, le livre leur ayant fait peur, d’autres expliquent avoir été accompagnées par l’ouvrage lors de moments de guérison ou de reconstruction.»

L’écriture
«L’écriture de Delphine de Vigan m’a happée immédiatement, se remémore Violaine Brébion qui a rencontré Delphine de Vigan lors d’une signature dans une librairie. J’ai commencé par lire un livre, puis deux, puis trois, après je me suis dit qu’il fallait tous les lire parce qu’il y avait quelque chose. Je les ai lus dans l’ordre. Jours sans faim était donc le premier. L’évidence ? En le lisant, je me voyais déjà le dire, parler comme cela assez naturellement. Je voulais évoquer l’adolescence, ce difficile passage à l’âge adulte, ces moments compliqués que l’on vit à 15 ans. Ce texte m’est aussi personnel. Le porter avec Xavier Clion, avec qui je travaille régulièrement dans une immense confiance, en a fait cette pièce. Je désirais présenter ce travail aux scolaires, à des jeunes-gens à partir de la 3e, pour partager cette parole avec les premiers concernés. Au départ ? Ils ont longuement travaillé le texte de Delphine de Vigan avec leur professeur avant de le voir théâtralisé. J’ai ressenti de leur part de la distance, de l’assentiment ou parfois du rejet, avant qu’ils n’avouent connaître eux aussi des difficultés… Il y a comme un besoin de maturation chez eux, puis de libération de la parole.»

Le symptôme
«L’anorexie ? Elle a commencé pour moi lorsque j’ai eu le sentiment d’être trop tôt projetée dans le monde adulte, de ne pas avoir le matériel pour affronter cette période, se remémore Delphine de Vigan. Il y a des raisons, des faisceaux de cause qui s’additionnent pour provoquer ce symptôme. L’anorexie est avant tout une maladie de l’appétit de vivre, qui rend prisonnier de sa vie. Elle rend insensible, au sens physiologique premier du terme, au fond, on ne ressent plus grand-chose de ce qui se passe à l’extérieur. C’est d’ailleurs une manière de se protéger qui va se retourner contre soi. Le retour à la vie ? C’est retrouver l’autre. C’est lorsque Laure éprouve une passion. Et c’est ce que raconte le spectacle.»

Violaine Brébion interprète Laure et de multiples personnages dans Jours sans faim

Ce que j’aimerais dire
«Si le sujet peut faire un petit peu peur, à juste titre d’ailleurs, c’est surtout l’histoire d’une guérison, souligne Delphine de Vigan à propos de ‘Jours sans faim’, Violaine et Xavier se sont emparés du texte qui va vers la lumière, emmenés par les personnages secondaires au gré d’une adaptation fidèle au roman.»

Mon avis
Le texte de Delphine de Vigan, bien qu’adapté pour le théâtre, reste une fantastique ode à la vie. Celle de Laure malmenée par les circonstances qui aimerait bien vivre mais n’arrive plus à se nourrir. Pour autant, la pièce n’est ni triste, ni lente, au contraire, elle est puissamment rythmée, truffée de sourires, de rires, d’humour et d’impertinence. Cette jeune-fille bienveillante fait naître autour d’elle de nombreux personnages : des membres de sa famille, des amis, des compagnes d’infortunes qui libèrent çà et là les indices précieux de leur mal être. On est frappé par la bonté discrète, la retenue du personnel soignant, le texte écornant au passage les jugements à l’emporte-pièce d’une société livrée au 1er degré.
Ce que l’on a aimé ? La délicatesse et l’élégance du texte, le travail et la lumière de chaque saynète, tableau, apportant un éclairage différent sur les situations explorées, suggérées en filigrane, la richesse des liens qui se tissent entre les personnages et notamment avec le médecin qui, précautionneusement, amène Laure à préférer la vie plutôt que la mort. Dans la vraie vie, ce médecin deviendra d’ailleurs le plus grand spécialiste de l’anorexie mentale en France. Le jeu des acteurs dynamique, subtil et la mise en scène, pleine de trouvailles, sont d’une magnifique précision et vérité. Alors que le plateau plonge dans la pénombre et que l’aura des personnages s’évanouit, nous voici plus armés et éclairés sur le sujet. Jours sans faim nous pousse à être plus délicat avec l’autre et c’est déjà miraculeux.

Les infos pratiques
Jours sans faim. 14h50. Jusqu’au 30 juillet. Théâtre des 3 soleils. 4,rue Buffon à Avignon. 04 90 88 27 33. Réservation ici.

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