Ce vendredi à Avignon, les agriculteurs se sont mobilisés contre l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur. Une action éclair et déterminée, reflet d’un malaise profond qui traverse l’ensemble des filières agricoles françaises, confrontées à une crise économique, sociale et sanitaire sans précédent.
Dès les premières heures de la matinée, les tracteurs ont convergé vers Avignon. En toile de fond, un mot d’ordre clair : dire non à un accord jugé destructeur pour l’agriculture française. « Toutes les filières sont en crise », alerte Christian Borde, exploitant agricole à Apt, engagé en Vaucluse et dans les Alpes-de-Haute-Provence. Lavande, lavandin, céréales, vigne ou cultures fourragères : aucun secteur n’est épargné selon lui.
Pas d’accords avec le Mercosur
Au cœur des inquiétudes, bien sur, l’accord Mercosur, qui ouvrirait davantage le marché européen aux productions agricoles sud-américaines. Pour les manifestants, il incarne une concurrence jugée déloyale : normes sanitaires moins strictes, traçabilité insuffisante, coûts de main-d’œuvre incomparables. « Nous produisons des aliments tracés, de qualité, respectant des règles strictes, pendant que des produits importés pourraient contenir des substances interdites chez nous », dénoncent-ils. Un paradoxe d’autant plus mal vécu que la France, jadis excédentaire, ne couvrirait plus aujourd’hui qu’environ 30% de ses besoins alimentaires.
Une crise économique et humaine
Dépôts de bilan, exploitations asphyxiées par des prix de vente inférieurs aux coûts de production, pression constante de la grande distribution : le modèle agricole vacille. En filigrane, un drame silencieux : celui de la détresse psychologique. « Les suicides d’agriculteurs augmentent, mais restent tus », regrette Christian Borde, également engagé auprès de la MSA (Mutuelle sociale agricole). Une souffrance diffuse, nourrie par l’endettement et le sentiment d’abandon.

Produits naturels contre produits de synthèse
Certaines filières cristallisent particulièrement les tensions. Les producteurs de lavande et de lavandin, en crise depuis six ans, s’inquiètent de l’évolution de la réglementation européenne sur les substances naturelles. Le classement potentiel des huiles essentielles comme allergènes, voire cancérogènes, contraste avec la tolérance accordée aux produits de synthèse, pourtant largement dominants sur le marché mondial. « Une distorsion qui menace, selon eux, l’avenir d’une production emblématique du territoire, expose Christian Borde. Nous produisons environ 1 400 tonnes d’huiles essentielles en France de plantes à parfum, alors que les produits de synthèse représentent 24 000 tonnes. Ca va être la mort de la production française. »
Difficultés structurelles et crises sanitaires
À ces difficultés structurelles s’ajoutent des crises sanitaires. Les éleveurs bovins redoutent la propagation de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC), détectée fin juin dernier, en Savoie. L’absence de vaccination obligatoire et les abattages massifs alimentent un sentiment d’injustice, alors même que des viandes issues de pays concernés par la maladie continuent d’entrer sur le territoire européen.
Une colère maîtrisée mais résolue
Les prises de parole se succèdent, portées par une colère maîtrisée mais résolue. Les responsables syndicaux insistent sur la dignité de la mobilisation et préviennent : ce rassemblement n’est qu’un signal. Derrière la contestation du Mercosur, c’est une dénonciation plus large d’un système jugé intenable : normes toujours plus contraignantes, négociations commerciales opaques, marges captées par les intermédiaires, et agriculteurs exclus des discussions sur les prix.

Un monde agricole en bout de souffle
À Avignon, la manifestation paysanne a fait entendre une alarme claire : celle d’un monde agricole à bout de souffle, refusant d’être la variable d’ajustement des politiques commerciales internationales. Au-delà du rejet du Mercosur, les agriculteurs réclament une reconnaissance concrète de leur rôle stratégique : nourrir la population, entretenir les territoires et garantir une alimentation saine. Une mobilisation qui, à en croire les syndicats, pourrait bien se prolonger dès le début de l’année prochaine si aucune réponse structurelle n’est apportée.
Mercosur : de quoi parle-t-on exactement ?
Le Mercosur est un marché commun sud-américain qui regroupe principalement le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay. Depuis plus de 20 ans, l’Union européenne négocie avec ces pays un accord de libre-échange visant à faciliter les échanges commerciaux, notamment industriels et agricoles. Concrètement, l’accord prévoit une baisse importante des droits de douane sur de nombreux produits, dont la viande bovine, la volaille, le sucre, l’éthanol ou encore certaines céréales.
Un très mauvais deal pour les paysans français
Pour les agriculteurs européens, et français en particulier, cet accord pose un problème majeur de concurrence réglementaire. Les productions agricoles des pays du Mercosur ne sont pas soumises aux mêmes normes sanitaires, environnementales et sociales que celles imposées en Europe : usage de pesticides interdits dans l’UE (Union Européenne), traçabilité plus faible, coûts de main-d’œuvre très inférieurs.

Les syndicats agricoles
Les syndicats agricoles dénoncent ainsi une distorsion de concurrence, estimant que l’accord favoriserait surtout les grandes industries agroalimentaires et les centrales d’achat, au détriment des producteurs et, à terme, de la souveraineté alimentaire européenne.
La Dermatose nodulaire contagieuse : une menace sanitaire pour l’élevage
La dermatose nodulaire contagieuse (DNC) est une maladie virale qui affecte les bovins. Transmise principalement par des insectes piqueurs (moustiques, mouches), elle provoque fièvre, lésions cutanées, amaigrissement et pertes de production, sans danger direct pour l’homme. Jusqu’à récemment cantonnée à certaines régions d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Amérique du Sud, la maladie a été détectée fin juin en Savoie, suscitant une vive inquiétude chez les éleveurs français.
La stratégie sanitaire
La stratégie sanitaire repose aujourd’hui sur l’abattage des animaux infectés, la mise sous surveillance et la restriction des mouvements de troupeaux. Les organisations agricoles critiquent toutefois l’absence de vaccination obligatoire préventive et redoutent des abattages massifs, vécus comme un gaspillage économique et animal. Dans le même temps, Christian Borde dénonce une incohérence : alors que leurs troupeaux sont bloqués et invendables, des viandes importées de pays où la maladie est présente, continuent d’entrer sur le marché européen, alimentant un sentiment d’injustice et d’abandon.

Suicide chez les agriculteurs : des chiffres alarmants
En France, les agriculteurs présentent un risque de suicide supérieur de 46% à celui de l’ensemble de la population active. Pour les chefs d’exploitation non-salariés, ce sur-risque atteint environ 70 à 80%, selon les périodes étudiées par la Mutualité sociale agricole (MSA). Les données consolidées de la MSA et de Santé publique France estiment qu’un agriculteur se donne la mort tous les deux jours en moyenne. Un chiffre qui, malgré les dispositifs de prévention, reste stable depuis plusieurs années. Plus de 90% des suicides concernent des hommes, principalement âgés de 40 à 65 ans, souvent à la tête d’exploitations fragilisées économiquement.
Les causes ?
L’endettement chronique ; Des revenus inférieurs aux coûts de production ; La pression administrative et réglementaire ; L’isolement social ; Les crises sanitaires ou climatiques : la détresse agricole résulte d’un enchevêtrement de facteurs économiques, sociaux et psychologiques.
Vaucluse : une souffrance aux chiffres tabous
Il n’existe pas de données rendues publiques et détaillées spécifiques au Vaucluse. Les acteurs de terrain (MSA, syndicats, chambres d’agriculture) évoquent toutefois une détresse bien réelle, comparable à celle observée dans d’autres territoires agricoles, avec une difficulté persistante à rendre ces chiffres visibles.
Mireille Hurlin


