28 mars 2024 | De Madagascar à Saint-Didier, Ibeliv, success story familiale

Ecrit par Mireille Hurlin le 21 septembre 2022

De Madagascar à Saint-Didier, Ibeliv, success story familiale

Me voici garée sur le parking d’une petite zone artisanale à Saint Didier. Face à moi une rangée de petits bâtiments blancs dans un cadre verdoyant. Je frappe à la porte d’un ancien garage. Toc toc métallique. J’entends des bruits de pas sur un escalier intérieur et puis l’on m’ouvre. J’entre dans un cube blanc. Mon regard épouse la pièce. J’arrive au service des expéditions. Odeur de raphia et de cartons. Des chapeaux, des sacs sont empilés par référence. Tout y est organisé et soigneusement rangé. Rien ne dépasse. Je suis chez Ibeliv.

Un escalier mène à une immense mezzanine
Sur ma droite se déploie un paysage de Madagascar exécuté par un artiste. La pièce est baignée d’une lumière traversante délivrée par des fenêtres horizontales. Au sol des tapis en raphia cousus de cuir, une porte ancienne s’est muée en table basse, un vieux téléphone en bois et bakélite attend un éternel appel. Il y a quelque chose de ‘Out of Africa’ ici.

Une ambiance cousue main
Un peu plus loin un portant fait de bois flotté –prélevé sur l’île de la Barthelasse et fabriqué par l’équipe- arbore différents chapeaux et sacs dont de drôles de poissons crochetés en raphia qui égaillent le lieu de leurs couleurs. Un salon en cuir, encore des tapis, une cabine d’essayage, un studio photo puis des bureaux. Voilà, je suis engloutie dans une ambiance blanche teintée de couleur miel, ponctuée d’antiques trouvailles.

Des collaborateurs immergés dans l’univers d’Ibeliv
Les ‘belivers’ vivent dans un showroom. Tout est dit. C’est comme se promener dans la pensée de Liva qui promeut du savoir-faire artisanal de Mada, des 1 000 femmes artisans qui travaillent pour Ibeliv, tout ici émane de la vie de Liva, à la fois ambassadeur de son île Madagascar, de la France et aussi de la professionnalisation des femmes de l’île.

Toute une équipe
Sur le plateau, des hommes et des femmes attentifs à leurs écrans, penchés sur des documents. La ruche bruisse de dialogues discrets. Ici on parle au monde entier. Pensez, 500 000 objets Ibeliv se baladent actuellement dans le monde. Et tout ce business émane de Saint-Didier, petit village situé à côté de Carpentras avec un peu moins de 2 000 âmes au compteur.

Sur la table basse
Sur la table basse le couple Sarkozy fait la une de Gala tandis que Carla Bruni arbore le ‘Laza’, un magnifique sac de plage en raphia et cuir doublé signé… Ibeliv. « Un must have qui prendra une jolie teinte miel foncé avec la patine du temps», promet Liva Ramanandraibe, le fondateur et dirigeant d’Ibeliv.

Tout commence avec Ibeliv
Ibeliv. Je crois. Je crois en quoi ? « En moi ! » Fou rire de Liva Ramanandraibe. Il est malgache, adore son île d’où il a dû s’arracher pour poursuivre ses études et devenir expert-comptable ainsi que l’a souhaité Tiana, sa maman. Qui est-elle, que fait-elle ? Elle est à Mada où elle dirige la fabrique de chapeaux, de sacs et autres objets artisanaux que Liva Ramanandraibe a lui-même dessinés. Là-bas Ibeliv a fait construire de beaux bâtiments, 1 800 m2 d’ateliers et de bureaux où œuvrent 1 000 femmes artisans qui peuvent ainsi subvenir aux besoins de leur famille et d’elles-mêmes. Si l’île est pauvre «elle est riche, entre autres, de son raphia et d’un savoir-faire millénaire, » sourit Liva.

I beliv I can fly
‘Mada’ c’est toute la vie de Liva qui a quitté son île chérie pour la France ‘qui m’a accueilli et à qui je dois beaucoup’. Oui mais… Diplôme d’expert-comptable en main et déjà en poste dans un cabinet d’expertise comptable, Liva Ramanandraibe ne s’habitue pas au ronron du quotidien entre quatre murs. Le soir, lorsqu’il rentre, il se trouve parfois nez à nez avec des monticules d’objets en raphia rapportés par Tiana, sa maman, lorsqu’elle fait ses incursions sur le vieux continent. Odeur de raphia et d’épices c’est Madagascar qui se rappelle aux bons souvenirs de Liva dont la gorge se serre de tout ce qu’il ne vit pas ni ici, ni là-bas. ‘Mon studio embaumait l’artisanat de Mada quand maman surgissait avec ses nombreux cadeaux miroirs de tout ce qui se faisait de plus beau sur l’île.»

Les marchés
Alors naît l’idée pour Liva d’en faire la promotion sur les marchés de Provence, la seule planche de salut qu’il ait trouvé pour ne pas regagner le bureau. Pourquoi faudrait-il perdre sa vie à la gagner ? Lever à 4 h du mat, chargements, kilomètres, courir après le placier, décharger, se re-garer. Revenir à son emplacement mais que d’autres ont squatté entre-temps, l’air de rien. D’autres encore vous somment de ficher le camp car ils ne veulent pas de vous à cet emplacement pour d’obscures raisons. Il y a ce monde caché dans les marchés où l’on est bien placé qu’à l’ancienneté. Un théâtre de forces qui se jaugent, aux stratégies souterraines pour gagner l’allée la plus fréquentée, le meilleur chemin pour être visible. Les jours ‘sans’ aussi avec la pluie, le vent, le froid, d’écrasantes chaleurs… On ne sait jamais de quoi sera faite la journée ni si l’on gagnera ou pas sa pitance du jour.

Qu’importe !
«Madagascar n’est pas riche. Au contraire. Je savais vivre de rien. Et quand on n’a rien on ne risque plus grand-chose, alors je faisais mon petit bonhomme de chemin sans me mettre la pression, sans douter de moi, mais avec la ferme intention de mener ma vie là où elle devait s’inscrire. » Ça veut dire quoi ? « 10 ans de marché pour commencer puis suffisamment de bouteille, de trésorerie pour fonder  Ibeliv, une e-shop remplie des modèles que je dessine et fais réaliser là-bas depuis nos propres ateliers. »

Liva Ramanandraibe

L’interview
Ibeliv fête ses 10 ans cette année
«Etre chef d’entreprise ? C’est surtout un désir de Liberté, ne pas s’ennuyer, sortir du cadre, voyager et aider Madagascar. Quand je suis parti de Madagascar à 16 ans, mon projet était de réussir. C’est un arrachement de partir de son pays, de quitter sa famille. Étudier c’était réussir, donc je me suis dirigé vers un bac tertiaire, gestion des entreprises, puis expert-comptable. Je crois que j’ai toujours eu envie de gérer une entreprise. Ma maman ? Elle a un tempérament d’entrepreneur d’ailleurs dans sa carrière elle fut directrice des ressources humaines (DRH) pour une importante structure. La base de ce que je suis ? Je la dois à l’éducation, à ma maman.»

Remettre en question le processus
«J’ai remis en question le processus lorsque je me suis retrouvé enfermé dans un bureau.J’étais fraîchement diplômé. J’ai dû remettre en cause les projections professionnelles idylliques de nos enseignants. On est jeunes, on idéalise, on veut changer le monde, confiant en ses compétences et savoirs. On baigne dans un monde préservé où l’on ne vous raconte pas ce qu’est la vie active. Les enseignants sont loin du monde de l’entreprise parce qu’ils n’y ont pas exercé. Ils n’ont pas connu le manque de filets, ni le rendez-vous avec le banquier pour débloquer un financement. De la théorie à la pratique tout est différent. Lorsque j’ai intégré un cabinet d’expertise comptable, que j’ai compris que je n’aurais que 5 semaines de vacances par an et pour seule récompense peut-être un bon salaire… Tout ça pour quoi ? Pour servir le capital ? J’ai mis les voiles et je les mets encore. J’y suis resté moins d’un an.»

Petit tour d’horizon du showroom Ibeliv

C’était déjà sous mes yeux
«Ce que je voulais faire était déjà sous mes yeux.Dans mon studio à Avignon tous les objets artisanaux que ma maman rapportait pour faire des cadeaux. Aujourd’hui on pourrait parler d’évidence mais à l’époque j’étais juste en survie. J’avais claqué la porte de l’entreprise et je n’avais plus rien. C’était la peur, la liberté sans emploi du temps. On doit forger sa propre réalité. J’ai attaqué les marchés. D’abord les marchés aux puces en vendant mes vêtements et mes disques. Je fréquentais un tout autre univers et j’ai dû m’adapter. Je me rappelle le bruit des tréteaux et des camions qui se vident. Le forain qui arrive, le café du matin, les rouages du métier. Je suis un grand spécialiste de la Provence secrète… Si je ne m’y suis pas senti à ma place, j’y ai acquis pendant 10 ans, une expérience commerciale précieuse. La base de toute aventure entrepreneuriale. L’école de commerce à la source, et sur le terrain (rires). Aujourd’hui cela fait partie de ma richesse. Cette quête de liberté m’a poussé tous les jours à refaire ma vie, à la redessiner et à trouver ce qui serait équilibrant. Ce qui est équilibrant ? C’est de ne pas se sentir contraint. Construire autour de soi un écosystème bienveillant.»

Je suis un créatif
«J’ai eu des idées, des mises en place, j’ai fait des choix économiques qui ont permis de développer une structure saine dans tous les aspects, comme de faire profiter le plus grand nombre. Je me suis mis au service de Madagascar. Ibeliv ? C’est six personnes au siège social à Saint-Didier, 8 commerciaux multimarques qui nous permettent de rayonner dans le monde entier : France, Italie, Grèce, Allemagne, Autriche, Suisse, Japon, États-Unis, bientôt de nouveaux bureaux et même un centre de production. Où ? Juste à côté d’ici…»

Pour les grands je suis un petit
On parle chiffre ? «Non parce que pour les grands je suis un petit et pour les petits je suis grand.» On parle croissance régulière de Ibeliv, de croissance à 2 chiffres ? «Oui… Je ne veux pas me situer parce qu’il y a encore plein de projets. Mes ambitions sont de grandir et de faire progresser mon pays. Mon pari gagnant ? Le service clients, la réactivité, l’accompagnement de la commande… La marque s’inscrit dans le classique chic et tendance, dans l’objet durable qui prend une belle patine avec le temps et ne se démode pas. Nous vendons des accessoires Premium et souhaitons aborder très prochainement le luxe. Cela passera auparavant par comment l’aborder : Est-ce un prix, une qualité, une expérience, une exclusivité ? Difficile de définir le luxe.»

Notre positionnement ? Pensé pour durer
«Il sera de tirer le produit vers le haut et de faire reconnaître une qualité de travail. Nous sommes une maison de savoir-faire et de qualité, pas de mode car la mode a quelque chose d’éphémère. Nous nous voulons des produits qui durent dans le temps, qui soient résistants. Nous sommes aux antipodes de l’obsolescence programmée, de ce qui pourrait être démodé. Aujourd’hui ? Nous proposons une trentaine de références : chapeaux, sacs, pochettes. On ne veut pas noyer le client avec les références, on veut faire des classiques pertinents. Un ‘tube’ auquel tout le monde adhère.»

Un système breveté
Le problème du chapeau, c’est le tour de tête comment être sûr qu’il soit bien ajusté à la tête du client ? « J’ai créé un système breveté, une lanière en cuir qui permet cet ajustement sur 4 à 5 centimètres ce qui permet de ne pas avoir de retour ni pour les magasins –qui n’aura pas à gérer des tailles du stock grâce à la taille unique – ni pour l’e-shop. Ce système n’existait pas auparavant.»

Un tour de taille de tête ajustable breveté Ibeliv

Mada ? J’en reviens
«Je reviens de Madagascar et je me sens tout petit face à l’impact d’Ibeliv là-bas, qui fait vivre les familles de plus de 1 000 femmes artisans, crochetant nos modèles. Je me rends compte, à chaque réunion, à quel point le cercle s’agrandit. Nous comptons avec l’expérience des personnes qui travaillent pour nous dès le début et qui savent qu’il s’agit d’un emploi permanent. Nous intervenons aussi pour la scolarisation des enfants avec ‘Ibeliv Garden’ qui fait écho à ma propre enfance afin que, pour faire des études, les jeunes n’aient pas à être déracinés. Je ne voulais pas partir, mais il n’y avait pas les infrastructures pour me donner les armes. Il n’y a pas les mêmes accès à la connaissance. Pas de médiathèque, pas de connexion internet… Je voudrais pouvoir amener cette ouverture d’esprit aux enfants pour qu’ils n’aient plus à partir. Les gens partent parce que c’est leur seule option. Peut-être mes petits-enfants verront-ils ce qui est initié maintenant. Quoi qu’il en soit la France m’a adopté et j’ai mes propres repères, mais je serai toujours entre les deux pays.»

Le vrai leitmotiv d’Ibeliv ?
«Travailler dans la loyauté avec les magasins, en offrant des accessoires de très grande qualité, à la date donnée. Les 600 magasins multimarques –dont 100 en France- représentent la partie la plus importante de notre activité.»

Les mouvements du monde
«Nous vivons un basculement des ordres. Avant nos priorités étaient le capital, le confort, or, nous sommes en train d’atteindre les limites de ce système. Le basculement ira vers le retour à la nature, aux sources, aux vraies valeurs, à la biodiversité. Madagascar accueille 90% d’une flore qui n’existe nulle part ailleurs. L’île souffre de déforestation, d’une trop forte exploitation de ses ressources, du braconnage…Il faudra assainir la situation. Cela passera par éduquer, réglementer, prendre conscience… Car celui auquel on pense en dernier, dans son propre pays, reste le malgache.»

Je suis une vache pourpre
«Je suis une vache pourpre –se concentrer sur une niche que l’on peut dominer- car tous ceux qui montent là-bas des ateliers de confection vont chercher des marchés de fabricants auprès des marques internationales alors que nous nous sommes la marque et travaillons pour le relèvement de Madagascar.»

Notre projet ? Le renouveau de Madagascar
« Ibeliv travaille pour le relèvement de Madagascar, pour l’émancipation, la liberté des femmes par le travail. Lorsque je fais des recrutements c’est ce que je dis aux femmes que je recrute : prendre le temps d’exécuter un travail de grande qualité, miroir de leur savoir-faire, de leur culture qui rayonnera dans le monde entier par la commercialisation de produits raffinés, inscrits dans le temps, tout cela en contrepied de la mode. Et puis Ibeliv Garden s’adresse à leurs enfants. L’accueil de 100 enfants, de 5 classes, la création d’un centre d’épanouissement, de terrains de sport, de jardins potagers, de cantine…

https://www.echodumardi.com/dossier/de-madagascar-a-saint-didier-histoire-dibeliv-success-story-familiale/   1/1