Site icon

Georgia Lambertin, présidente de la Chambre d’agriculture de Vaucluse

Partager cet article

Rencontre avec Georgia Lambertin, présidente de la Chambre d’agriculture de Vaucluse. Elle fait partie des invitées de la soirée ‘Femmes d’action, femmes d’exception, organisée par les Soroptimist d’Avignon qui se déroulera à la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Cité papale, cours Jean Jaurès dans l’intramuros, mardi 26 septembre, à partir de 18h, sur réservation.

«Au départ j’ai une formation médico-sociale et communication, puis j’ai connu mon mari, Lionel Lambertin, qui était agriculteur. C’est là que j’ai voulu m’investir au sein de l’exploitation en me formant au Lycée Louis Giraud de Carpentras ce qui m’a permis de m’installer en tant qu’agricultrice.»

«J’ai découvert un métier aussi magnifique que primordial.
J’ai eu envie à la fois d’être actrice de la production –cerise, raisin de table et de cuve et olives- et de communiquer sur ce métier, via la création d’une ferme éducative.»

Les étapes fondatrices de votre carrière ?
«La première étape a été la présidence du Groupement de développement agricole du Ventoux. Comment ça s’est passé ? Un agriculteur influent de nos territoires est venu me voir et m’a dit : ‘Aujourd’hui l’agriculture a besoin de communiquer, de s’ouvrir sur l’extérieur et a besoin d’une femme comme toi. Veux-tu devenir la présidente de GDA du Ventoux ?»

«Pour moi ça a été un grand honneur
car le GDA avait été présidé par une personnalité, Albert Raspail qui est resté à sa tête durant 30 ans. J’avais 23 ans. Puis j’ai été, très vite, vice-présidente de la Chambre d’Agriculture de Vaucluse aux côtés de Jean-Pierre Boisson -le président de la Chambre d’agriculture- et également présidente du Lycée Louis Giraud. J’ai adoré ces présidences, notamment le travail avec les jeunes. Ces structures regorgent de projets, d’une ambiance positive. Les années à venir vont appeler tous ces jeunes à faire face aux enjeux d’aujourd’hui et de demain, car nous sommes déjà au front, comme pour le changement climatique.»

«Je me suis installée en tant qu’agricultrice,
j’ai créé la ferme éducative sur mon exploitation. Cela a consisté à la mettre aux normes pour la réception du public. Mission ? Changer la vision du consommateur sur le métier d’agriculteur. Les ateliers évoquaient le cheminement de l’agriculteur, de la grappe de raisin jusqu’à l’obtention de l’AOC (Appellation d’origine contrôlée) du Ventoux ; La découverte de toutes les variétés de cerises des coteaux du Ventoux de la production jusqu’à leur commercialisation ; J’expliquais aux enfants de maternelle la magie de la nature et comment l’on partait du petit bourgeon l’hiver jusqu’à l’obtention du fruit, l’été.»

Georgia Lambertin dans une de ses exploitations



La 1re française lauréate du prix mondial de la créativité des femmes en milieu rural

«Puis on s’est mis à recevoir des étudiants en BTS (Brevet de technicien supérieur), des adultes, des groupes en formation, des structures qui avaient besoin de communiquer sur les productions… Ça m’a valu le prix mondial, en 2000, de la créativité des femmes en milieu rural, remis par le Sommet mondial de la femme à l’ONU (Organisation des Nations Unies). Ce que cela m’a appris ? Prioritairement l’humilité et le respect.»

Humilité et respect
«J’ai reçu ce prix en même temps qu’une indienne. Lorsque j’ai su ce qu’elle avait fait, cela m’a vite fait redescendre et j’ai vite reposé les pieds sur terre. Pourquoi ? Elle avait sauvé, cette année-là, 2 500 femmes. Comment ? En entrant en lutte contre les castes. Elle m’a expliqué que lorsqu’une femme se mariait, elle quittait sa famille pour celle de son mari où elle était traitée en esclave, le plus souvent très mal traitée, à tel point que sa belle-famille avait le droit de la tuer si elle n’était pas satisfaite d’elle.»

La force des femmes
«Elle m’a aussi confié qu’elle n’avait jamais mangé à table avec un homme. Elle s’appelle Passoupo – सोने का पाउडर – ce qui signifie poudre d’or. D’autres femmes tissaient la laine de leurs brebis pour façonner des sacs, les vendre puis, ainsi, créaient des potagers capables de nourrir des villages entiers. Ces femmes m’ont beaucoup appris. J’ai été honorée au plus haut point, et maintenant, je ne suis plus du tout à la recherche des honneurs mais à être en phase avec moi-même pour pouvoir aider les autres et faire avancer mon métier. Le Graal ? Toujours Fédérer, impulser de la vitalité, de l’optimisme, montrer que tout est possible, même lorsque l’espoir n’est plus là. Cette force là ? Elle est née de toutes les épreuves de ma vie.»

Les personnalités qui m’ont inspirée ?
«Albert Raspail qui m’offre la présidence de GDA à moi, une femme et à cette époque-là ? Ça n’était pas gagné ! Il m’a fait confiance et aujourd’hui encore je le remercie beaucoup. Il y a eu Pierre Gabert, le président du CFPPA de Carpentras et ancien maire de Pernes-les-Fontaines qui, lui aussi, me propose la présidence, puis encore Pierre Vève, une importante personnalité de mon territoire. Lorsqu’il venait dans la cour de mon exploitation, c’est qu’il s’agissait soit des élections, soit d’un sujet très important à traiter. Je savais qu’il avait quelque chose à me dire. Et il entamait la discussion par ‘Je viens en tant qu’ami et aussi, un peu, en tant que ton père politique’. Lui aussi m’a beaucoup aidée.»

Une kyrielle d’hommes pour aider les femmes
«Cela a été aussi le cas de Jean-Pierre Boisson, d’André Bernard (ancien président de la Chambre d’agriculture 84 et président régional) et de Maurice Ribaud (ancien président de la Chambre d’agriculture et président de la chambre de l’agriculture régionale Paca). J’ai toujours eu besoin de ces anciens pour pouvoir évoluer. Ils m’ont initiée à la stratégie et aussi à ne pas exploser en vol, notamment lorsque j’étais submergée par les dossiers. Ils m’ont appris à gérer mes mandats en prenant de la hauteur. De mon côté, je les appelais, leur demandant des conseils. Ils me disaient aussi : ‘Ce que tu veux faire est très bien mais méfies toi, tu déranges.’ Pourquoi ? Parce que lorsque vous voulez anticiper, fédérer et avancer, vous prenez de l’ampleur, ce qui attise des jalousies des hommes comme des femmes. Alors il vous faut essayer d’en susciter le moins possible, pour pouvoir continuer à fédérer et surtout à faire le plus important : porter la voix des agriculteurs. Un autre homme d’importance m’a tendu la main : l’ancien préfet Bertrand Gaume.»

Je remarque que dans votre parcours les hommes sont nombreux à vous tendre la main. Est-ce aussi vrai de la part des femmes ?

«Elles commencent à me tendre la main. Elles s’appellent Bénédicte Martin (conseillère régionale Paca), notre préfète, Violaine Démaret, Dominique Santoni la présidente du Département, Stéphanie Flauto de la Draff (Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt). Le cercle des femmes est en train de se constituer sans rivalité, chacune à sa place. Résultat ? Nous travaillons très bien ensemble. Le Vaucluse s’est beaucoup féminisé, chacune de ces femmes agit dans son domaine de compétence. Nous savons et prenons plaisir à travailler ensemble, ce qui facilite l’avancement des dossiers.»

Comment avez-vous abordé votre carrière et surmonté les épreuves ?
«Je me suis beaucoup investie, personnellement, en temps et en sacrifiant un peu le temps imparti à ma famille. J’ai abordé ma carrière en étant, avant tout, une femme de dossiers. Ma force ? Ma capacité de travail. Je ne sais pas défendre un dossier si je ne le connais pas par cœur. Je ne peux porter un dossier que si je me l’approprie. J’analyse les éléments sur lesquels je peux avoir une action efficace et être force de proposition.»

Georgia Lambertin dans son exploitation de cerises. L’agricultrice se lance également dans l’exploitation de la pistache

Une question de valeurs
«Le plus important ? Si j’ai pu accéder à ces responsabilités, c’est parce que j’ai su conserver mes valeurs. J’ai aussi travaillé mes dossiers. Je n’ai jamais oublié pourquoi j’avais été élue par des gens, et c’est pour pouvoir les représenter. Mon essence et ma source ? Garder les pieds sur terre, rester dans la réalité, et surtout, ne pas me détacher de la base qui représente la solidité.»  

Quels sont les obstacles qui ne s’effacent pas ?
«Le jour où j’ai perdu mon mari, que je me suis retrouvée seule avec mes trois enfants. Il a fallu que je fasse des choix. Fallait-il que je continue où que j’arrête ? Car ma priorité reste ma famille, tout en étant toute seule. Désormais je prenais seule toutes les décisions et cela s’est avéré assez difficile. Il y a des gens qui me disent : ‘Tu te rends compte de la femme que tu es ?’ Moi je ne m’en rends pas compte. Vous vivez un Tsunami, vous vous mettez en mode robot et vous avancez. Aujourd’hui, voir mes enfants heureux, voir ma carrière professionnelle avancer me permets de tout continuer, car c’est la vie qui vous fait avancer et les réussites qui vous donnent de l’énergie. Vivre des tsunamis permet de dire que jamais rien n’est perdu. Ma devise ? Regarder toujours devant.»

Quels sont les avantages et les inconvénients à être une femme dans les métiers où les hommes sont le plus souvent présents ?
«Être une femme me permet de faire passer des solutions inhabituelles et surprenantes. C’est aussi une question d’intuition féminine. Nous sommes en capacité de casser les codes. Un exemple ? Je parle du changement climatique depuis 8 ans déjà parce que j’ai pu converser avec de grands scientifiques, et partager leurs informations avec le monde de l’agriculture. Je crois que si je n’avais pas été une femme, pour l’évoquer auprès des hommes, cela aurait eu moins d’impact. Or, mon rôle était bien de faire redescendre l’information et surtout de ne pas de la taire. Je crois qu’en tant que femme, pour ce sujet là, j’ai été plus écoutée que ne l’aurait été un homme. Évidemment, on m’a rétorqué que le temps avait toujours changé et les aléas existé, alors j’ai dit qu’on ne parlait pas d’un aléa tous les cinq ans mais de cinq aléas possibles par an. Et là, j’ai été écoutée. En parlant comme ça, j’ai cassé les codes.»

Comment ai-je pu être entendue ?
«Parce que je ne suis jamais arrivée dans une instance en donneur d’ordres. Je disais : ‘J’ai appris cela, j’en déduis ceci et j’ai besoin de le partager avec vous. J’ai besoin de savoir ce que vous en pensez et, s’il y a des éléments qui vous paraissent importants dans ce que je vous ai dit, voulez-vous les ‘bosser’ avec moi ?’ La question centrale est : Quelle place donne-t-on aux autres dans sa vie ? »

La soirée Femmes d’action, femmes d’exception organisée par le club Soroptimist d’Avignon
Mardi 26 septembre 2023. A partir de 18h. Billets ici. Tout le programme ici.

Quitter la version mobile