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«Le festival off d’Avignon a besoin de partenaires pour grandir et se structurer,» Nikson Pitaqaj, directeur délégué d’AF&C

Nikson Pitaqaj Copyright Mireille Hurlin

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Nous nous sommes rencontrés à la toute fin du mois d’octobre. L’assemblée générale du festival off n’avait pas encore eu lieu. Lors de cette discussion informelle, nous avons fait un tour d’horizon du festival de l’été 2021 et de son ambition future d’une rencontre artistique responsable socialement et économiquement. Ce que promeut Nikson Pitaqaj ? Un modèle économique qui tienne la route pour tous : artistes, lieux et publics afin que le théâtre puisse tenir sa plus belle promesse, être accessible à tous.

Nous avons, tout d’abord, entamé notre discussion sur sa sensibilité artistique. Nikson Pitaqaj évoque alors le travail d’Ariane Mouchkine, le sens visuel de Kantor, Tchekov, les textes de Nino Noskin, Jules Romains, Vaclav Havel, Dostoïevski, Kleist…

Au départ
«Au départ je n’étais pas destiné à venir à Avignon parce que je ne suis pas un enfant du festival. J’ai créé des festivals, en Seine-Saint-Denis (93) de 2004 à 2007, autour du Kosovo, de la Bosnie, de l’Albanie et un festival Balkanique. L’objectif ? Rassembler tous les balkaniques et les français travaillant sur cette culture. Ça a été très compliqué et en même temps magnifique. Parce que j’ai ce côté ‘venu d’ailleurs’, je peux aller partout sans crainte, même dans les zones dites de non-droit. J’ai pu travailler avec tout le monde parce que je ne rentre pas en conflit. Désormais je travaille plus vers le Nord, à Calais et dans le Pas-de-Calais, avec les habitants de l’ancien bassin minier.»

Mon parti-pris ? C’est de ne pas en avoir !
«Je travaille sans parti pris, vraiment sur les traces de Jean Vilar. Je n’ai pas de démarche intellectuelle mais une démarche artistique et physique. Au contraire de lui qui aimait employer les costumes, une mise en scène très posée, mon format théâtral est plus proche de Grotowski, de Kantor, des auteurs des pays de l’Est où le théâtre se déploie à partir du seul jeu de l’acteur. Je pars d’un plateau complètement nu, ce qui était impossible il y a quelques années, car en aucun cas le décor ne doit cacher les défauts du travail et du jeu du comédien. Le décor doit venir soutenir le travail, le propos de celui-ci. Cela fait 25 ans que je fais de la mise en scène et cette sobriété de décors et de costumes, qui met en avant le comédien, parle à beaucoup de gens, y compris ceux qui pensent que le théâtre n’est pas fait pour eux. C’est en cela que je fais le lien avec le festival off.»

Le festival d’Avignon Copyright Mireille Hurlin

Venir à Avignon ?
«C’était vraiment contre ma volonté. Moi ? Je m’épanouis à travers la vie, la dynamique d’une troupe, dans une communauté de travail mais pas de vie ensemble. Je suis d’ailleurs co-directeur de la ‘Compagnie libre d’esprit’, une co-direction partagée avec une directrice, notamment depuis que je travaille à Avignon. Ce que j’aime ? Le travail d’équipe, dans ma compagnie chaque voix est aussi importante que la mienne, la mienne ne prévalant que dans la direction d’acteur où je suis le regard extérieur de la mise en scène. Il y a quelques années, notre compagnie avait besoin de développer ses dates de diffusion, c’est alors qu’une comédienne a suggéré de venir à Avignon. Je ne voulais pas parce que je ne savais pas comment appréhender ‘ce marché du travail du théâtre’, même si je ne suis pas dupe et que cette connotation économique est prégnante dans tous les festivals. Nous avons voté à bulletin secret, j’ai perdu et je me suis plié à la majorité. Nous avons joué à l’Espace AlyaAudience’ une pièce de Vaclav Havel, et Knock de Jules Romains. Nous avons fait complet !»

Ce qui ne collait pas
«C’est là aussi que j’ai compris que plein de choses ne collaient pas et notamment le fait que les compagnies ne soient pas impliquées dans la vie associative du Festival off. Nous avons fait un bilan à la fin du festival avec l’équipe. Nous sommes tombés d’accord sur le fait de continuer Avignon à condition de devenir adhérent et de s’engager. On pourrait dire que c’est arrivé par hasard mais non, parce que j’ai toujours été guidé par la justice sociale et je voyais que les plus fragiles étaient laissés pour compte. C’est ainsi que je me retrouve à candidater pour intégrer le Conseil d’administration, et au bout d’un an, voilà que Greg Germain s’en va. Mes collègues du Conseil d’administration me proposent de devenir vice-président. Mon objectif de l’époque ? Il est très précis : créer un fonds de soutien pour aider les compagnies ; mutualiser le plus possible les moyens pour que les troupes puissent financer leur production sans pour autant intervenir dans le lien entre les lieux et les compagnies.»

Quels modèles économiques pour les lieux ?
«Je ne suis pas partisan de faire baisser les prix. En revanche je suis intrigué par le fait que les lieux n’affichent pas clairement leur modèle économique. Cette absence d’information créé du fantasme car les lieux ne gagnent pas des millions. Certains s’en sortent mieux que d’autres mais beaucoup de petits lieux ne gagnent rien à la fin du festival. Certains sont même véritablement en galère. Est-ce la différence entre les théâtres subventionnés et ceux qui ne le sont pas ? Je ne crois pas car les subventions interviennent pour un travail effectué tout au long de l’année. En étant plus transparents et ouverts, les lieux éviteraient d’être critiqués. D’ailleurs la crise de la Covid l’a démontré, c’est vraiment dur. Et ce manque de transparence peut fragiliser les compagnies qui peuvent subir l’augmentation des tarifs de location qui ne sont pas le fait des lieux mais du bailleur qui augmente son loyer. De fait les compagnies qui ne possèdent pas ces éléments d’information pensent que les lieux se font des millions, alors que ce n’est pas le cas. Cet état de faits m’empêchait parfois de prendre la parole parce que tout le monde n’était pas au même niveau d’information. Cependant mon rôle reste inchangé, je défends les artistes pour que le spectacle puisse être vu par le plus grand nombre. L’artiste est celui qui questionne, qui dérange. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que l’artiste doit à tout prix déplaire, mais il n’est pas obligé, non plus, de chercher à plaire.»

Le bilan Juillet 2021
«Pour moi le bilan du festival off 2021 a été extraordinaire sur le plan humain parce que le festival a eu lieu car, rappelez-vous, le festival off 2020 n’a pas eu lieu. Le festival a été au-delà de mes espérance et rêves les plus fous. Nous avons tout fait, avec l’équipe, pour qu’il ait lieu, y compris sans public même si c’aurait été un vrai drame. Alors que certains ont parlé de résistance, nous, nous avons travaillé pour qu’il ait lieu sans prononcer de mots aussi forts. Pourquoi ? Parce que c’était notre devoir en tant qu’artistes, organisateurs du festival de faire en sorte que nos partenaires publics, privés, le préfet en tête, n’aient pas le choix. Nous avons tous été fiers : équipe du festival off, équipe du Festival d’Avignon, acteurs locaux et nationaux. J’ai vu des artistes heureux, des publics enchantés.»

Copyright Mireille Hurlin

Dans les faits ?
«Dans les faits ? Nous accusons une baisse de 40% des ventes du cartes du Off, moins 20% de billets d’entrée dans les théâtres par rapport à l’année 2019 qui, pour rappel, avait été exceptionnelle. 2/3 des compagnies ont été présentes, pratiquement tous les lieux ont ouvert – à l’exception de 8- avec cependant moins de créneaux. Là aussi la DGCA (Direction générale de la création artistique) s’est engagée auprès des lieux proposant une aide au cas par cas en fonction des pertes subies et prouvées. Oui, l’association est fragilisée mais nous allons nous en sortir, le Ministère de la culture s’étant engagé à nous aider sur la perte financière subie.»

Les compagnies
«Les compagnies ont apprécié qu’il y ait moins de créneaux et certains lieux aussi. Dans un sens, cela permettait à tous d’être plus apaisés, moins dans la course. Ça a d’ailleurs été le mot du président du festival off, Sébastien Benedetto : ‘Nous avons vécu un festival raisonnable et donc apaisé’. C’est d’ailleurs paradoxal car nous étions dans l’année la plus fragile, dangereuse et délicate et puis… il y a eu cette période de calme qui a offert plus de temps aux compagnies, aux lieux et aux publics de s’installer, de se concentrer et de donner le meilleur d’eux.»

Un accord pour les dates entre le In et le Off ?
«Nous avons envoyé Sébastien Benedetto et moi-même un courriel dans ce sens à Olivier Py et Paul Rondin afin d’en discuter et qu’ils nous indiquent leurs dates car ce sont à la fois les membres du Conseil d’administration et les adhérents qui les choisissent pour le festival off. A titre personnel j’aimerais que nous ayons les mêmes dates, maintenant je comprends que des compagnies veuillent jouer le plus longtemps possible afin d’être visibles. Cependant nous sommes aussi obligés de nous plier au calendrier scolaire puisque des lieux s’installent aussi dans les murs des établissements scolaires. Nous sommes aussi contraints par la dimension internationale du festival de théâtre, par la disponibilité des artistes et par un public déjà très présent début juillet et bien moins en fin de mois. En 2019 j’avais cependant eu l’impression que le public s’était attardé dans les salles en fin de mois. En 2021, oui, la dernière semaine de juillet a été désertée sans que je puisse analyser si cela était dû au Pass sanitaire ou à l’absence de festival In. Cette dernière semaine du mois de juillet reste effectivement un problème.»

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Essentielle question
«La question essentielle ? Avons-nous une ville et un festival qui peut accueillir autant de spectacles si longtemps ? Actuellement ? Le festival s’étend sur 25 jours dont des jours comprenant des relâches. Entendons-nous bien, c’est une chance de vivre au cœur d’une ville baignée dans un festival pendant un mois cependant le public, vieillissant, n’est pas suffisamment nombreux pour se rendre à autant de spectacles. Également, ‘coller’ aux dates du In ne sera pas suffisant pour régler ce problème. Ramener le festival à 21 jours –du 7 au 27 juillet 2022- permettrait peut-être aux compagnies comme aux lieux de moins souffrir. L’âge moyen du festivalier est de 57 ans, avec une majorité de femmes aux revenus moyens –dont beaucoup d’enseignants-. Il est vrai que participer au festival revient cher puisqu’il faut venir, se loger, se nourrir, acheter des places de spectacles, repartir, tout cela a un coût…»

Un festival de seuls-en-scène ?
«La conjoncture économique pousse à rationaliser les dépenses. Ainsi, ne risque-t-on pas de faire du festival off un festival de seuls-en-scène qui coûtera moins cher que de faire venir des troupes ? C’est à cela que répond le fonds de soutien des compagnies avec les aides directes et indirectes ! Également les Villes, les Régions, les Départements subventionnent les compagnies pour qu’elles puissent venir à Avignon. Le festival d’Avignon est un écosystème qui évolue, s’affranchissant des remparts avec des propositions ‘Hors les murs’, le rôle d’AF&C est de l’accompagner pour qu’il s’épanouisse dans un terreau fertile où compagnies, lieux, partenaires et institutions créent ensemble une dynamique artistique au rayonnement international.»

Nikson Pitaqaj, lors de notre rencontre à la toute fin du mois d’octobre 2021, enthousiaste du bon déroulement du Festival off d’Avignon malgré la pandémie de la Covid 19

Qui est Nikson Pitaqaj ?
Nikson Pitaqaj, Albanais du Kosovo, est comédien, metteur-en-scène et auteur dramatique, après des études de cinéma à l’Ettic (Etudes sur le terrain des techniques de l’image cinématographique), c’est vers le théâtre que le pousse sa sensibilité, pour participer et vivre au cœur de cette dynamique artistique collective. Ses thèmes de prédilection ? La peur, la folie humaine, le rejet de l’autre. Nikson Pitaqaj a fondé sa compagnie ‘Libre d’esprit’ en 2001.

Quelques chiffres
En 2021 le festival se déroule du 7 au 31 juillet avec 1 123 spectacles.
En 2020 le festival se déroule du 3 au 26 juillet alors que le Festival d’Avignon (le In) est annulé à cause de la Covid. Les théâtres dont les directions sont indépendantes, sont libres d’ouvrir ou non.
En 2019 le festival se déroule du 5 au 28 juillet et affiche 1 592 spectacles.
En 2018 le festival se déroule du 6 au 29 juillet avec 1 538 spectacles dans 133 lieux.
En 2017 le Festival off a lieu du 7 au 30 juillet et propose 1 480 spectacles dans 128 lieux et 119 théâtres.

Petit historique non exhaustif du Festival Off
2010, Le village du Off
Le village du Off propose des rencontres et des débats entre le public, les professionnels et les artistes ainsi qu’un bal de clôture.

Greg Germain (acteur et directeur de la Chapelle du verbe incarné) sera président de l’association de 2009 à 2015, Raymond Yana, directeur de l’espace Alya en prendra la présidence en 2016 puis Pierre Beyfette de 2016 à 2020, et enfin Sébastien Benedetto depuis janvier 2021.

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2008
Le Off renoue avec la Grand parade du Off qui a lieu la veille de l’ouverture du Festival off en présence des troupes, d’artistes de la tradition circassienne. Celle-ci démarre du cours jean Jaurès pour suivre la rue de la République et s’installer, pour quelques minutes, en haut de la place de l’horloge sur le parvis du palais des papes.

2004
En 2004 une nouvelle association Alfa, entre en dissidence avec Alain Léonard qu’elle taxe d’immobilisme et édite un deuxième programme en 2004 et 2005. Alain Léonard donne sa démission et André Benedetto créé Avignon Festival et Compagnie qu’il préside de 2006 à sa mort en 2009, poste que prendra Greg Germain.

Le conflit des intermittents en 2003
En  2003, le intermittents du spectacle se battent pour conserver le régime spécifique d’assurance chômage remis en question par le Gouvernement de l’époque. Bernard Faivre d’Arcier, alors directeur du festival d’Avignon, décide de l’annuler. Le Festival Off a lieu mais peu de gens en dehors des ‘locaux’ font la distinction entre le festival d’Avignon et le Festival Off. Ainsi, l’ensemble de la presse parisienne fait état de l’annulation du Festival sans soupçonner que le Festival Off a bien lieu. Pourtant beaucoup de troupes de comédiens jouent et essaient de remplir les salles contrant une information régionale et nationale qui les ignore.

Alain Léonard est le fondateur et président de l’association Avignon Public Off (APO) de 1982 à 2004. Il créé le 1er programme en 1982. C’est avec lui que le Festival d’Avignon connaît son véritable essor et la professionnalisation. Son souhait ? Rassembler les compagnies. Il créé la Maison du Off en 1988 pour que les compagnies et le public se rencontrent.

Copyright Mireille Hurlin

1970, temps de l’expansion
D’une quarantaine de spectacles en 1970, le festival off en dénombre plus de 1 300 en 2015. En 1982, Alain Léonard créé un programme répertoriant tous les spectacles du Festival off ainsi qu’une carte ‘Avignon Public Off’ qui propose une réduction de 30% sur le prix des entrées de spectacles. Le coût de la carte est amorti au 3e spectacle.

André Benedetto, Directeur du théâtre des Carmes qu’il créa en 1963 est considéré comme le fondateur du Festival off en 1967, ‘dans un geste de révolte contre l’institution’. Il sera président de l’association Avignon Festival et Compagnie qu’il créa en 2007 et jusqu’à sa mort en 2009. Il fera débuter au théâtre Daniel Auteuil, à 16 ans, en 1966, dans ‘la Demande en mariage de Tchekov’. En 2011 il fait jouer Philippe Caubère dans ‘Urgent crier’ et Jean-Claude Drouot dans ‘Lear et son fou’.

La contestataire histoire du Off
Le festival off né en 1966 lorsqu’André Benedetto propose une représentation de sa pièce intitulée ‘Statues’, au théâtre des Carmes. Un acte ressenti comme une provocation par Jean Vilar qui a créé le Festival d’Avignon en 1947. L’année suivante, en 1967, André Benedetto propose ‘Napalm’ sur la guerre du Vietnam et est rejoint par plusieurs compagnies, 7 spectacles sont donnés. Le Off est né. En 1968 ‘La paillasse aux seins nues’ donnée par Gérard Gélas est interdite par le préfet du Gard. Le Living theatre, invité officiel du festival et Gérard Gélas se lignent contre Jean Vilar. Les comédiens du théâtre du Chêne noir (sans l’accord de Gérard Gélas) et le Living theatre perturbent la représentation de Maurice Béjart le 19 juillet 1968 en montant sur scène à la Cour d’honneur.

Copyright Mireille Hurlin
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