29 mars 2024 | Portrait de Cédric Rouire, chef d’entreprise avignonnais, fondateur d’Edissyum, société de dématérialisation de documents

Ecrit par Mireille Hurlin le 29 novembre 2022

Portrait de Cédric Rouire, chef d’entreprise avignonnais, fondateur d’Edissyum, société de dématérialisation de documents

C’est à 34 ans que Cédric Rouire plonge dans l’univers de l’entrepreneuriat avec, tout de suite, une idée en tête : embaucher. Mais pas seulement, car le futur dirigeant veut voir plus grand. L’ambition ? Faire de la Tech là où il n’y a que de l’agroalimentaire. Pourquoi cette idée farfelue ? Juste parce que depuis tout petit il est amoureux du Vaucluse. Une histoire de fidélité aussi. Ses parents sont pontétiens, il est Avignonnais et veut travailler à Carpentras. Voilà, tout est dit ? Non.

Soulever des montagnes
Il lui faudra soulever des montagnes, une bonne dose d’abnégation et de pugnacité pour faire d’une terre en jachère, un beau champ de blé, propre à nourrir le tissu économique local. Il explique sans fard, comment il a procédé. Et l’histoire de cet ingénieur des mines n’est pas banale.

Comment tout a commencé
C’est ainsi que Cédric Rouire, ingénieur des Mines, fonde en 2009, Edissyum, une société spécialisée dans la dématérialisation de documents. Au programme durant ces 13 ans d’activités ? Des produits, des offres et des conseils pour gagner en productivité en gestion documentaire. Ça commence par la dématérialisation, la qualification et l’indexation des documents d’entreprise en passant par la gestion, la circulation de l’information et les réponses à y apporter.

Les clients d’Edissyum ?
Le secteur public avec les collectivités territoriales –mairies, Département, communautés de communes, administrations ; et le secteur privé comme l’assurance, l’industrie, les bâtiments et les métiers de la santé. A la manœuvre ? Le diagnostic de la demande, des process cousu mains agrémentés d’un peu d’intelligence artificielle, de numérisation automatisée, et la gestion des documents d’entreprise entrants, sortants et circulants. A 47 ans, 13 ans après avoir fait ses premiers pas de chef d’entreprise, Cédric Rouire déroule son expérience.

Quel parcours ?
«Je travaillais, en tant que directeur de projet grands comptes, dans une société américaine spécialisée dans l’édition de logiciels. Je voyageais beaucoup, en Europe, et je ne me retrouvais plus dans une société qui avait peu de valeurs humaines, très focalisée sur la profitabilité et la rentabilité. Au bout de 10 années, à 34 ans, je décidais de créer et de géolocaliser mon activité là où je vivais, à Carpentras. Je tournais le dos à un salaire plus que très confortable et à une très belle carrière en perspective… A condition de rentrer dans le moule.»

Cédrid Rouire, version expert en BTP, lors de la construction des bureaux

Le revers de la médaille ?
«Je voyageais beaucoup. J’avais un semblant de vie sociale à Paris, Madrid, Milan mais je n’en n’avais pas là où je vivais. Et puis à un moment je n’avais plus de valeurs. J’étais rincé par la politique de l’entreprise que je trouvais dénuée de sens, notamment vis-à-vis des clients car nous n’étions plus du tout orientés vers eux. Nous ne pensions qu’à l’argent généré. Je ne me retrouvais plus là-dedans. Ça ne rimait plus à rien.»

Le déclic ?
«Il a eu lieu lorsque la société américaine a décidé de fermer les bureaux d’Aix-en-Provence où nous étions établis. La représentation commerciale était située à Paris. Du point de vue des américains, Aix-en-Provence n’existait pas sur la carte du monde. Il n’existait que Paris. La France c’est Paris. C’est là que j’ai dit non. Ce jour-là j’ai pris mon destin en main et j’ai décidé de travailler là où je vivais. Aujourd’hui ça pourrait paraître être un concept naturel mais pour moi, ça ne l’était pas. Je n’avais pas particulièrement de dispositions ni pour entreprendre ni pour manager. Ce sont les circonstances qui m’y ont amené. Si elles avaient été différentes, je me serais laissé porter par le confort du salariat, mais la fermeture les bureaux pour migrer sur Paris, ça, je ne pouvais l’envisager.»

Je me suis formé moi-même
«Je ne peux pas dire que j’étais particulièrement outillé lorsque j’ai créé la société. Je sortais d’une grande société américaine où je gérais les grands comptes des entreprises du Cac 40 comme Elf, Total, Gaz de France, Banque de France, EDF… Lorsque je m’adressais à eux, mon discours allait dans le sens de leurs stratégies, c’est-à-dire une vision large du monde, avec des solutions informatiques atteignant parfois plusieurs millions d’euros, alors que ma future clientèle était celle de PME (petites et moyennes entreprises) et donc d’une réalité très proche du terrain.»

Un an pour se mettre à la bonne échelle
«Pour vendre, il me fallait adapter à la fois l’offre, le discours et le marketing. Ça a pris du temps, une bonne année. Pour cela, je me suis fait accompagner par un consultant. Ensemble, nous avons repositionné l’offre commerciale. Il fallait passer d’une approche grande société, grands comptes disposant de confortables budgets et de projets d’envergure de plusieurs millions d’euros à des solutions adaptées à des collectivités territoriales et à de petites entreprises où l’enveloppe et les discours ne sont plus les mêmes. En clair ? J’allais vendre des solutions informatiques à des décideurs qui seraient aussi les utilisateurs et qui me paieraient en direct pour cela. Là, c’était le grand écart et une logique imparable : le territoire offre le potentiel financier qu’il peut et qui est différent selon chaque département, région, pays.»

Comme faire de l’idée au succès ?
«Il n’y a jamais eu de financement externe ni pour créer ni pour développer la société. Nous ne fonctionnons qu’en fonds propres, hormis pour l’achat des bureaux que je souhaitais spacieux. J’ai démarré la société avec 5 000€. Au départ j’ai réussi à trouver des clients à Marseille et Lyon où de grandes sociétés se trouvaient être réceptives à mes offres. Cela permettait d’amorcer le chiffre d’affaires. Parallèlement, je souhaitais être entouré pour ne pas m’isoler dans ma solitude. C’est là que j’ai pris le risque d’embaucher. Je pouvais le faire parce que j’avais confiance en l’offre. Egalement je disposais de réseaux qui m’ont beaucoup aidé, notamment grâce au Rile de Carpentras (pépinière d’entrepreneurs). Il y a eu des accompagnements marketing, l’adaptation et l’approche de nouvelles cibles. Le Rile m’a notamment aidé dans le maillage cohérent des réseaux –Avignon Delta Numérique (qui n’existe plus), la French Tech, Made in soft, le CIP (Cercle des informaticiens de Provence), et, actuellement, FFI (Forces française de l’industrie), pour construire et nourrir ma structure. Il est important de pouvoir partager avec ses homologues, sans être trop dans un format business mais avec lesquels l’on peut dégager des synergies.»

Nos métiers ?
«Nous sommes organisés en deux métiers, d’une part l’acquisition de documents : numérisation, extraction, reconnaissance de documents, intelligence dans la capture de documents ce que nous appelons communément la LAD : lecture automatique de documents. Notre 2e métier ? La gestion de documents. Les deux étant liés l’un nourrissant l’autre. Au cœur de cette activité ? L’intervention de plus en plus prégnante de l’intelligence artificielle. Aujourd’hui ? Des ministères, de grandes sociétés commencent à s’intéresser à notre offre. Notre chiffre d’affaires ? Cette année, à 20 salariés, nous approchons le million d’euros.»

Soirée pizza et jeux

Réussites, échecs, comment garde-t-on le cap ?
«Le quotidien des chefs d’entreprise c’est énormément de travail. Ça commence aussi par une gestion très prudente pour un développement de l’entreprise en bon père de famille. La culture et le développement de valeurs ont été importants car je ne voulais pas reproduire le schéma que j’avais connu à mes débuts dans la grande entreprise américaine. Donc l’état d’esprit s’est révélé fondamental et c’est en cela que le recrutement a été crucial car s’il fallait trouver la bonne compétence, il fallait aussi trouver le bon état d’esprit.»

Fidéliser ses salariés
«Ça se traduit aujourd’hui par 20 personnes et zéro départ en 15 ans. C’est assez exceptionnel dans nos métiers où, en informatique, ces compétences sont extrêmement demandées et crées un énorme turn-over assorti d’une toute aussi grande difficulté à recruter. Ça prouve aussi que nous ne sommes pas trompés dans le recrutement. Pourtant je n’offre pas les conditions salariales les plus avantageuses mais en revanche un beau cadre vie au travail au cœur d’un parc très verdoyant et de somptueux locaux -300m2- disposés à la mode start up dont la moitié est dévolue aux loisirs et à la  détente : baby-foot, salle de repos et de fitness, ping-pong… On passe du temps au travail et je voulais que les gens s’y sentent bien. Et puis je suis vraiment contre le télétravail. Pour moi, lorsqu’on vient travailler le matin, on se retrouve, on se parle, on se voit, on partage beaucoup de choses, un repas, des jeux, de la convivialité. Ces moments sont importants dans la vie d’une société.»

Ce qui me satisfait le plus ?
«Ce qui me rend le plus fier ? Constater l’épanouissement de mes collaborateurs dont ceux que j’ai recruté à peine diplômés de leur école. Je vois ce qu’ils sont devenus, leur posture, leur confiance en eux, l’envergue qu’ils ont pris, leur épanouissement. Et puis je me rends compte que l’entreprise fait vivre des familles, que celles-ci participent au projet de vie de la ville et le département. C’est un vrai pari d’être une entreprise de la tech dans un tissu plutôt agroalimentaire.»

La géographie de la pertinence
«Le confort d’entreprendre aurait été plus pertinent à Aix-en-Provence ou à Montpellier pour une entreprise comme la mienne. On serait peut-être 30 personnes de plus pour 2M€ de chiffre d’affaires. C’est même une certitude. Mais je voulais réussir là où les talents, en général, ne restent pas. Je suis Avignonnais et mes parents Pontétiens, il était hors de question que je quitte le lieu où j’avais grandi. Je voulais y installer ma famille, y voir grandir mes enfants, garder un lien fort avec mes parents, ma famille. Même si cela représentait des difficultés.»

Les plus gros coups durs ?
«Lorsque les décideurs ne vous font pas confiance et préfèrent travailler avec des sociétés qui ne sont ni locales ni en lien avec le territoire, pour des raisons que vous ignorez et que l’on ne vous explique pas. C’est assez paradoxal car mes premiers clients étaient partout en France, très loin du Vaucluse, avant que je ne puisse toucher au département dans lequel je vivais. J’ai mis plus de 5 ans avant de séduire les premières collectivités : Avignon, Grand Avignon, Carpentras, Orange. Maintenant ? L’entreprise continue son développement, forte d’une très bonne réputation et d’un bon chiffre d’affaires qui donne confiance aux clients.»

L’évolution d’Edissyum ?
«Elle colle à la réalité d’un dirigeant d’entreprise. C’est quels sont les niveaux de bons de commande, facturation, trésorerie et business, payer les salaires et quelles sont les prochaines étapes de développement de la société. Voici ce qui occupe 140% de mon temps. Pour être le capitaine il faut déléguer beaucoup de fonctions, ce que j’ai fait. Les plus anciens salariés sont devenus cadres. Je leur ai confié beaucoup de fonctions comme le commercial, le marketing, la direction de projets. Je reste sans doute un peu trop sur la partie R&D (Recherche et développement). L’entreprise se développe aussi beaucoup via des partenariats avec des éditeurs spécialistes des collectivités qui distribuent nos produits et sont devenus de bons leviers.»

La qualité de services
«La qualité de services reste le 1er vecteur auquel je reste attaché c’est la culture de l’opérationnel. Nous sommes très axés sur l’accompagnement puisque géographiquement nous sommes proches de nos clients. Ce sont eux qui nous recommandent et c’est ainsi que nous entretenons et développons notre réseau. Nous sommes peu visibles et même un peu cachés, pour autant notre développement se fait via nos partenaires. C’est ce qui nous fait gagner des projets.»

Ce qui est important pour moi ?
La pérennité de l’entreprise. Et elle ne sera possible qu’au regard de la satisfaction clients. A moi de consolider les fondations et de ne jamais déroger à la qualité des produits, des service et de l’accompagnement. Nous sommes sur une croissance à deux chiffres très linéaire, solide, sans emprunts ni dettes, nos clients sont fidèles, nous renouvelant leur confiance. C’est ainsi que s’est construite l’entreprise : vente de produits, abonnements, maintenance. 200 clients nous font confiance, ils sont à l’origine de tout.»

Penser l’entreprise de demain ?
«Les décisions les plus importantes ? Je les prends en faisant du trail, en parcourant de longues distances. Evidemment je parle de ma stratégie et de pistes de développement avec des proches. Mais les décisions sont prises lors de gros efforts physiques. Il y a ce double effet d’être à fois focalisé sur le sujet et en même temps de s’en éloigner par l’effort qui vous fait dire : je suis sur le bon chemin. C’est mon yoga.»

Si je n’avais été ni informaticien ni chef d’entreprise ?
«Je suis très manuel. Si je n’avais pas été chef d’entreprise ni informaticien, j’aurais été maçon parce que j’aime créer de mes mains. Je bricole beaucoup, je sais à peu près tout faire. Je fais l’électricité et je sais réparer les voitures. C’est marrant parce que je fais un métier plutôt intellectuel.»

Cédric Rouire. Fondateur et dirigeant d’Edissyum. 98, avenue Pierre Sémard à Carpentras.

L’équipe lors d’une compétition de karting

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