21 novembre 2025 | Georges Besse II, la Tour Eiffel de l’uranium se métamorphose

Ecrit par Mireille Hurlin le 20 novembre 2025

Georges Besse II, la Tour Eiffel de l’uranium se métamorphose

Orano accélère son ambition de souveraineté énergétique : quatre nouveaux modules identiques à ceux déjà existants sont en construction sur le site de Georges Besse 2 (Tricastin), pour porter la capacité d’enrichissement d’uranium à + 30%. Financé en partie par un prêt de 400M€ de la BEI (Banque Européenne d’invesitssement), ce chantier mobilise près de 180 entreprises françaises et jusqu’à 1 000 travailleurs en pic. La mise en service progressive est annoncée dès 2028, pour un complet déploiement en 2030.

Le site industriel du Tricastin se transforme sous les allées silencieuses de ses centrifugeuses. Depuis la pose de la première pierre en octobre 2024, le chantier d’extension de l’usine d’enrichissement d’uranium Georges Besse 2 progresse à un rythme soutenu. Quatre modules d’enrichissement sont désormais en cours de construction, en parfaite réplique des quatorze existants. Ce projet n’est pas seulement une opération d’agrandissement : c’est un pari stratégique pour l’Europe, un enjeu industriel majeur pour la France et une vitrine de l’ingénierie nucléaire hexagonale.

Un projet stratégique : souveraineté, écologie et autonomie
L’extension s’articule autour d’un investissement colossal de 1,7 milliards d’euros, approuvé par le conseil d’administration d’Orano en octobre 2023. Grâce à cette enveloppe, l’entreprise ambitionne d’accroître sa capacité de production de plus de 30%, soit 2,5 millions d’UTS (Unité de Travail de Séparation) supplémentaires.

La souveraineté de la France
Ce renforcement n’est pas anecdotique : il s’inscrit dans un contexte géopolitique lourd. Comme l’a déclaré Claude Imauven, président du Conseil d’administration d’Orano, ‘dans le contexte actuel, cette montée en puissance vise à renforcer la souveraineté énergétique occidentale’. L’Agence européenne de financement, la Banque européenne d’investissement (BEI), a d’ailleurs apporté sa pierre au projet avec un prêt de 400M€,soulignant l’importance stratégique de cette extension dans le cadre du programme REPowerEU (La fin de  l’exportation des énergies fossiles : gaz, pétrole, charbon russes).

Construction : modularité, excellence et ancrage local
Le modèle retenu est celui de la modularité : quatre modules identiques à ceux déjà existants, avec des technologies éprouvées et une “empreinte environnementale réduite”, selon Orano. Ces modules seront raccordés à l’unité nord du site ; l’extension porte ainsi le nombre de modules nord de 6 à 10.

Un site comme une ville
Sur le terrain, les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de 180 entreprises, majoritairement françaises -et pour beaucoup régionales-, sont mobilisées. Le chantier emploie en moyenne entre 300 et 500 personnes, avec des pics pouvant en atteindre 1 000, sur une durée d’environ cinq ans. Divers corps de métier participent : ingénierie, génie civil, second œuvre, électricité, ventilation, manutention, tuyauterie…

Un chantier calibré
Du côté du génie civil, Orano a confié un lot majeur à Vinci Construction : le groupement Dodin–Campenon Bernard et Campenon Bernard Centre-Est réalise la construction de deux tranches supplémentaires. Le béton coulé sur le chantier atteindra jusqu’à 35 000 m³, accompagné de 4 500 tonnes d’armatures et 500 plots antisismiques. L’extension de Georges Besse 2 a franchi des jalons réglementaires importants. Le permis de construire, signé par le préfet de la Drôme le 17 juin 2024, autorise la construction d’un bâtiment en prolongement de l’usine existante.

Chantier Georges Besse II Copyright Crespeau

Duplication de l’installation
Du point de vue environnemental et sécuritaire, Orano a opté pour une stratégie de duplication de l’installation existante plutôt que d’innovations radicales : les nouveaux modules reprennent les caractéristiques des modules actuels, ce qui accélère les délais et minimise les risques. Selon le rapport de la CLIGEET -Commission locale d’information des grands équipements énergétiques du Tricastin- sur le projet, la capacité maximale atteindrait 11 MUTS (millions d’unités de travail de séparation), correspondant à ce qui avait été envisagé initialement lors de la conception de l’usine.

Sur le terrain
Sur le terrain, les équipes sont déjà à pied d’œuvre : un an après la pose de la première pierre, 65% du béton (soit environ 20 000 m³) a été coulé, les charpentes métalliques s’érigent, la préfabrication en aluminium (tuyauteries) est active, et les armoires électriques sont assemblées.

Enjeu énergie : une électricité ‘bas-carbone’ pour l’Europe
L’objectif d’Orano est clair : produire de l’uranium enrichi pour alimenter 120 millions de foyers chaque année. Ce chiffre équivaut à près de 60% des foyers de l’Union européenne, selon vos indications (France, Allemagne, Espagne, Italie, Danemark, Suède, Finlande). Ce niveau d’approvisionnement renforce la sécurité énergétique de l’Union Européenne tout en soutenant la transition vers une énergie décarbonée.

La centrifugation
La technologie utilisée -la centrifugation- est déjà éprouvée : le site Georges Besse 2 fonctionne depuis 2011, et avait atteint sa pleine capacité de 7,5 millions d’UTS en 2016. Orano vise avec cette extension la production nominale qu’elle avait envisagée dès le départ : 10,4 MUTS, avec un plafond théorique de 11 MUTS.

Risques et controverses : un projet sous surveillance
Tout projet nucléaire suscite des débats. Dans le dossier de concertation publique, Orano souligne sa volonté de reproduire les modules existants pour garantir la fiabilité et accélérer la mise en service. Mais l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), via un avis, s’interroge : l’extension pourrait permettre un enrichissement à 6%, contre les 5% initialement prévus, ce qui soulèverait des enjeux supplémentaires sur l’entreposage et les effluents. Par ailleurs, les quantités d’uranium hexafluorure (UF₆) manipulées dans l’usine augmenteront, bien que l’augmentation soit estimée à environ 5 % par rapport à la capacité autorisée actuelle.

Une affirmation politique et énergétique
Le chantier d’extension de Georges Besse 2 n’est pas seulement un projet d’ingénierie ou une opération industrielle : c’est une affirmation politique et énergétique. Dans un monde marqué par l’incertitude géopolitique et la transition climatique, Orano joue sa carte pour garantir la souveraineté nucléaire de l’Europe, tout en renforçant sa capacité de production “bas-carbone”. Si les défis techniques et réglementaires sont réels, le modèle modulaire, l’ancrage local et le soutien stratégique -comme celui de la BEI, Banque européenne d’investissement- donnent à ce projet une assise robuste. À l’horizon 2030, la France pourrait bien porter une part encore plus significative de l’approvisionnement européen en uranium enrichi, un pari ambitieux, mais à sa mesure.
Sources : Orano group, BEI, Vinci construction, Département de la Drôme, CLIGEET Tricastin…
Mireille Hurlin

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