17 juin 2025 |

Ecrit par le 17 juin 2025

Barreau d’Avignon : ‘Rencontres de l’éloquence 2021’, un millésime de haute volée

Pour la 17e année consécutive, le théâtre Chêne noir accueillait “Les rencontres de l’éloquence” organisées par le Barreau d’Avignon, dont l’Echo du mardi est partenaire historique. Retour sur cette édition 2021 couronnée de succès.

Trois femmes, trois voix, trois histoires. Nommer une gagnante relève de la gageure tant les performances sont ambitieuses. Et pourtant, il faudra trancher. 180 personnes sont pendues aux lèvres des candidates avocates des Barreaux d’Avignon et de Carpentras. Un tourbillon d’émotions s’empare de la salle, entraînant les rires sincères, les regards ébahis et les applaudissements généreux. Le temps d’une soirée, les mondes juridique et artistique conjuguent leur magie pour donner naissance à une échappée théâtrale succulente. La saveur est particulière. Concours de circonstances, cette édition 100% féminine se révèle être une ode à la femme et à sa puissance d’évocation.

Il en fallait du courage, avec seulement quelques années (voir une seule) d’exercice au compteur des candidates pour se jauger et séduire un jury de ténors. Bien parler n’est pas inné. Cicéron, grand rhétoricien romain, disait que tout grand orateur doit remplir trois fonctions à travers un discours : instruire, plaire, émouvoir. A 85 ans, monsieur le bâtonnier Christian Bonnenfant, membre du jury qui préside les rencontres pour la deuxième fois, objectera brut de décoffrage : « Cicéron ne m’a rien apporté, j’ai fait carrière tout seul. » Et quelle brillante carrière pour celui qui fût, jusqu’à sa retraite récente, le doyen du Barreau d’Avignon. Avec une voix ferme et empreinte d’émotion, il transmet quelques sages enseignements : « Pour tenter de convaincre quelqu’un, il faut d’abord être convaincu soi-même. »

Monsieur le bâtonnier Christian de Bonnenfant. Crédit photo: Linda Mansouri

Qu’est-ce que l’éloquence ? « Si vous voyez une petite lumière dans le regard, une légère inclinaison du cou, un battement de paupières chez votre interlocuteur, alors vous êtes éloquent », résumera le bâtonnier Christian de Bonnenfant. Convaincre, émouvoir, tel est le lot de l’avocat. Et pour ce faire, quelle arme redoutable que la langue de Molière et ses nuances infinies. Le choix des mots, la gestuelle, l’aura, le silence… « Arriver à démontrer sans vociférations. » La soirée présentée par Maître Jordan Bamhauer (qui aura droit à une chanson d’anniversaire en chœur) du Barreau d’Avignon et Maître Guillaume De Palma, bâtonnier du Barreau d’Avignon, a tenu toutes ses promesses.

Maître Sixtine Catalon du Barreau d’Avignon

“La vie est-elle une boîte de chocolats ?” Vous avez 20 minutes pour y répondre. La vitalité de Maître Sixtine Catalon est contagieuse. A grand renfort d’images, de métaphores subtilement dosées, la pétillante refait le film de notre existence. Dès le berceau et jusqu’au mariage, un ballotin de chocolats est gracieusement proposé. Au premier abord, les chocolats ont l’air exquis, ils luisent, ondulent dans leur écrin, on en salive. Quelle déception amère de mâchouiller à contre-cœur celui que vous redoutiez. Parallèle ingénieux avec l’homme, ses contradictions, les apparences trompeuses et les éternelles déceptions des affres de la vie. Caramel, liqueur, cerise, citron, verveine, à l’image de notre quotidien, un panel de choix s’offre à nous. Aurons-nous suffisamment de panache pour prendre des risques et saisir une friandise inconnue, ou bien passerons-nous à côté du délice de notre vie ?

Maître Sixtine Catalon du Barreau d’Avignon. Crédit photo: Linda Mansouri

Maître Marisa Santa du Barreau d’Avignon

“Faut-il allumer le feu ?”, le sujet tombe. Les mots sont magnifiés, le verbe est d’une précision d’orfèvre et d’une richesse infinie. Ajoutez à cela l’humour d’une subtilité rare. Maître Marisa Santa ouvre et ferme les parenthèses à l’aide de grands gestes affirmés, se révolte contre cette manie impérieuse de chanter les noms de chanson ou épilogue sur l’ambiance sonore des soirées, indicateur du niveau de détresse de l’humanité. L’homme maîtrise-t-il toujours le feu qu’il a jadis réussi à dompter ? Sommes-nous dans l’ère de la crémation ou le brasier de nos apparences ? L’avocate amoureuse de littérature envahit l’espace, s’agenouille, laisse le temps au silence d’imprégner nos âmes. En conclusion, elle appelle à « rire, filer à toute vitesse et vivre sa vie sur le cuir de l’arrière d’une berline. » Brillante performance.

Maître Marisa Santa du barreau d’Avignon. Crédit photo: Linda Mansouri

Maître Zoulikha Hattab du Barreau de Carpentras

“La justice est-elle une balance ?”. Ni une ni deux, l’avocate se mue en comédienne remarquable. La voilà imitant Thémis, déesse de la justice, avec le micro en guise de glaive, un masque de nuit sur les yeux, symbole d’impartialité et la balance grossièrement dessinée sur une feuille de papier. Elle tente vainement de garder l’équilibre sur une seule jambe comme la justice tente désespérément d’être à la hauteur de son héritage. Maître Zoulikha Hattab dénonce, met en lumière les failles, les deux poids, deux mesures de cette justice qu’elle idéalise et qu’elle chérit tant. Mais surtout, elle convoque la chair et le sang, évoque tour à tour ses enfants, ses parents issus d’un pays où la justice est bancale. Les anecdotes sont loufoques, acides, comme sa première garde à vue. Des premières expériences ponctuées de « balances », qui donneront même lieu à un #balancetajustice joyeusement proposé par sa fille. Merci pour ce moment et ces imitations réussies avec brio.

Maître Zoulikha Hattab, Barreau de Carpentras. Crédit photo : Linda Mansouri

Après de longues minutes de délibération, devinez qui remporte un succès franc ? C’est une femme ! Voilà qui vous aide bien. Roulement de tambour… Félicitations à Maître Marisa Santa du Barreau d’Avignon ! Un bouquet de fleurs à chacune, de jolis cadeaux dont un repas à la Mirande et surtout, une soirée festive et conviviale signée la famille du Barreau d’Avignon.

Le public est venu nombreux. Crédit photo: Linda Mansouri
Crédit photo: Linda Mansouri

Barreau d’Avignon : ‘Rencontres de l’éloquence 2021’, un millésime de haute volée

C’est par un prompt renfort, celui d’un vent de liberté que l’amitié se transmet. La Juris cup soude, depuis 30 ans, des équipages très attachés à leurs professions et au plaisir de se rencontrer. La belle équipe de voile du Barreau d’Avignon nous a invité à partager ce moment de légèreté…

La Juris cup a 30 ans
Crée en 1991 par un groupe d’avocats Marseillais et organisée par maîtres Geneviève et Denis Rebufat, la Juris’Cup est devenue la plus grande régate du monde juridique et judiciaire en France. Manifestation internationale avec plus d’une dizaine de nations représentées – hors vagues Covid – son édition 2021 qui s’est déroulée le week-end dernier a réuni plus de 2 200 participants et 100 voiliers de 9 à 22 mètres. Ce qui en fait la première régate sur la plan d’eau marseillais en nombre de participants et en qualité de ses embarcations, mêlant classiques (Eileen, sloop Marconi de 1938) et modernes.

Les amarrages, ramassés au pied du Fort Saint-Nicolas à l’entrée du Vieux-Port offrent au village nautique un air à la fois frénétique et serein, varié comme la météo. La Juris cup tient la corde et ne la lâche pas, assurant la fidélité des équipages au moyen d’une belle promesse : se retrouver, naviguer, fêter, rencontrer d’autres professionnels (notaires, magistrats, huissiers, étudiants, assureurs, agents immobiliers, experts, etc.), participer à un colloque annuel reconnu pour avoir contribué avec ses spécialistes, depuis 30 ans, à faire émerger un Droit de la plaisance en France.

Sac de nœuds
Sur le ponton, les premiers arrivants tombent le baluchon et se saluent. Voici maître Laurence Bastias et sa collaboratrice Charlotte, misant modestement sur « la chance des débutantes », lorsque l’on évoque un pronostic de victoire.
« Trois jours par an, sortant des difficultés et rugosités de la vie quotidienne, nous venons nous baigner dans une grande épreuve sportive » poétise le bâtonnier de l’ordre des avocats d’Avignon Guillaume de Palma.
Dame Bastias oblique alors du regard vers le bateau du Barreau de Paris où elle a exercé – ça ne s’invente pas – en spécialiste de la diffamation et avocate du journal Le Monde. Elle asticote l’équipage adverse, nous déclarant à voix bien haute : « au-delà de notre détermination à gagner, il nous paraît encore plus important de devancer, à chaque épreuve, le bateau parisien pour avoir pleine satisfaction lors de cette édition qui devrait nous voir triompher ».
Yeux brillants, sourires gourmands. « La Juris cup fait perdurer notre esprit potache, la légèreté des années estudiantines. Elle nous permet de voir à quel point nous sommes en réalité soudés, car il est très compliqué de nos jours de garder de bonnes relations entre confrères, tant le métier est parfois devenu stressant », explique le bâtonnier, cependant prêt à en découdre pour la plaisanterie.
– Fluctuat nec mergitur* : « Vous rêvez d’une victoire à la barre ?», grince l’avocat parisien, « rassurez-vous, c’est un projet de découverte, pas le périple de Christophe Colomb ».
– « A bec et griffes » : « Arrêt au Château d’If ? »

La possibilité d’un île
L’heure est venue d’embarquer. Michel Peyrol, propriétaire du ‘Léopard Normand’ accueille le Barreau d’Avignon avec le cocktail du bord, la ‘caresse du léopard’, composé de rhum brun, jus de pamplemousse, cannelle, gingembre. « Ce yawl de 15 mètres avait été construit par Jack Grout pour revivre les heures de gloire de la marine en bois et entreprendre un pèlerinage à l’Ile de la Tortue. Cette aventure qu’il avait racontée « Dans le sillage de la flibuste », ouvrage que j’ai lu dans les années 70, m’avait marqué. Dix ans plus tard, je me balade sur un ponton et je découvre Léopard Normand portant une affiche ‘à vendre’. Voici 40 ans que je l’ai décrochée et que je navigue avec ce bateau ».
Le romanesque n’est jamais loin à la Juris cup, comme en témoigne Guillaume de Palma. « Une année, impossible prendre le départ. Nous étions privés de notre skipper qui, n’ayant pas rempli les obligations d’usage de son bracelet électronique, délaissait une armée d’avocat sur le quai ! ».
La bonne nouvelle de cette édition 2021, catégorie classique (sept participants) : les parisiens ont fini à l’avant dernière place. La mauvaise : notre barreau a fini dernier.

Epilogue
La caresse du Léopard ne cachait-elle pas de redoutables griffes ? Les parisiens n’ont-ils pas triché ? Les commissaires avaient-ils les yeux en face des trous ? Le débat reste ouvert pour l’année prochaine.
Les ‘anciens’ (Jean-Maxime Courbet, Hugues de Chivré, Guillaume de Palma) raconteront avec nostalgie l’année 2006, lorsque le premier voilier qui a coupé la ligne d’arrivée était le ‘Penn Duick VI’, le ketch mythique d’Eric Tabarly aux couleurs du barreau d’Avignon, devançant le barreau de Marseille et celui de Carpentras sur ‘Pen Duick III’.
« Nous avions eu une tornade vers le Frioul. Au milieu de ce gros temps, le skipper avait sorti un spi. Nous étions hors d’haleine brassant les moulins à poivre (winchs) pour dresser la voile, filant 17 nœuds vers la victoire. Face à la Nature qu’on ne dompte jamais, nous nous adaptions au mieux de nos capacités. C’était simplement grandiose », se souvient Jean-Maxime Courbet. Ces mêmes anciens verront aussi, avec bonheur, que tous ceux qui les ont rejoints depuis lors ont gardé intacte cette amitié créée comme un fil rouge dans l’épreuve comme dans la joie.

Que font les avocats d’Avignon pour réunir la profession ?
En dehors de la Juris cup, événement phare dont le budget, soutenu par des sponsors, est conséquent (+ de 10 000 €), le barreau participe a une équipe de foot participant à des tournois régionaux. Le concours d’éloquence qui se déroule depuis une quinzaine d’année aura lieu en octobre. Des rencontres de l’Eloquence ouvertes faisant la part belle aux sujets fantaisistes et au sens théâtral, ville de festival oblige. « Les ‘procs’ sont les bienvenus », rappelle le bâtonnier. Celui-ci mise aussi sur les randonnées à vélo, les tournois de tennis et espère organiser une sortie au ski d’ici la fin de l’année. Comme si on était à la fac, quoi.

*Devise de la ville de Paris dont le blason représente un navire. « Il est battu par les flots, mais ne sombre pas ».

https://www.echodumardi.com/tag/barreau-avignon/page/2/   1/1