Me Solène Arguillat revient sur le nouvel article R2142-26 qui ouvre un terrain d’opportunités pour renforcer les capacités d’un groupement en phase de passation des marchés publics, mais porte en germe des zones d’incertitudes et de risques qu’il convient de maîtriser.
L’article R2142-26 du Code de la commande publique, instaure un nouveau régime de « modification de la composition » des groupements d’opérateurs économiques en cours de procédure de passation.
Cette évolution vient compléter le dispositif existant d’exclusions et de remplacements prévu aux articles L 2141-13 et L 2141-14 (remplacement en cas d’exclusion d’un membre pour cause de fiabilité ou de solvabilité) et l’autorisation exceptionnelle prévue à l’article L 2141-6 (intérêt général) :
R2142-26 (extrait) 1° Le groupement dispose des garanties économiques, financières, techniques et professionnelles exigées par l’acheteur pour participer à la procédure.
Toutefois, en cas d’opération de restructuration de société […] ou si un de ses membres se trouve dans l’impossibilité d’accomplir sa tâche pour des raisons indépendantes de sa volonté, il peut demander à l’acheteur l’autorisation de continuer à participer […] en proposant de nouveaux membres du groupement, sous-traitants ou entreprises liées. Dans les procédures à phases de négociation ou de dialogue, l’acheteur peut également autoriser cette modification si :
1° Les garanties exigées sont réunies,
2° Le principe d’égalité de traitement et la concurrence effective ne sont pas compromis.
Zones d’ombre
Définition de l’« entreprise liée »
Le texte ne précise pas la portée de ce terme : lien capitalistique, contractuel, familial ?
Risque d’interprétation divergente selon les acheteurs, impactant la sécurité juridique des offres.
Cadre temporel de la demande de modification
Aucune précision sur le délai maximal pour formuler la demande : au stade candidature ?
remises d’offres ?
Portée du contrôle de l’acheteur
L’acheteur examine la capacité du nouveau groupement « au regard des conditions de participation qu’il a définies », sans encadrement procédural.
è L’absence de critères objectifs expose l’acheteur à d’éventuelles contestations (illégalité de la décision pour défaut de motivation)
Risques
Atteinte au principe de transparence
Modification en phases de négociation/dialogue : possible renégociation de capacités hors mise en concurrence initiale, créant un risque de « deal » à l’abri des autres candidats.
Déclaration d’« opération de restructuration » visant à substituer un membre jugé moins favorable par l’acheteur, tout en conservant le vrai exécutant en sous-traitance.
Entrave à la concurrence
Possibilité pour deux candidats de se rapprocher et demander la modification d’un groupement avec échanges d’informations stratégiques
Pré-sélection de sous-traitants/entreprises liées de complaisance (« fusibles ») pour contourner un futur blocage ou exclusion.
Afin de transformer cette disposition en un véritable levier de négociation et de sécurisation des procédures, il est recommandé aux acheteurs de :
- Définir des seuils et critères objectifs (financiers, techniques…) dans le dossier de consultation pour limiter les marges d’interprétation et assurer la transparence.
- Se prémunir contre les pratiques dilatoires en fixant, pour la demande de modification, des délais courts et en rappelant explicitement le respect du principe d’égalité de traitement.