1 mai 2025 |

Ecrit par le 1 mai 2025

Discriminations : 7 salariés sur 10 considèrent que leur entreprise n’agit pas assez

Qu’il s’agisse du poids, du style vestimentaire, de la couleur ou de la coupe de cheveux, ou encore d’un maquillage jugé trop prononcé, les discriminations liées à l’apparence physique sont souvent sous-estimées en entreprise. Pourtant, l’apparence physique et vestimentaire figure parmi les 25 critères de discrimination interdits par la loi et a un impact réel dans le monde professionnel. C’est dans ce contexte que le groupe Apicil, un des groupes leader de la protection sociale et patrimoniale en France, publie les résultats de la cinquième édition de son baromètre « Les Français et l’inclusion », réalisée avec Opinion way, avec un focus cette année sur les discriminations liées à l’apparence physique en entreprise.

« Cette année, les Français se montrent plus critiques quant à l’état de l’inclusion dans la société, soulignant l’omniprésence des discriminations, notamment celles liées à l’origine, au handicap et à l’apparence physique, souligne Philippe Barret, directeur général du groupe Apicil. Tous les acteurs de la société sont appelés à agir contre ces inégalités. L’action des pouvoirs publics est vivement critiquée dans un contexte de fortes attentes sur le sujet. Ce constat est d’autant plus marqué chez les jeunes, qui restent les plus concernés par les questions d’inclusion, perçoivent davantage les discriminations, et réclament un engagement fort de la part des entreprises.

« Dans le monde professionnel, les discriminations liées à l’apparence physique et à la tenue vestimentaire sont souvent ignorées. »

Philippe Barret, directeur général du groupe Apicil

« Dans le monde professionnel, les discriminations liées à l’apparence physique et à la tenue vestimentaire sont souvent ignorées, poursuit-il. Or, l’aspect extérieur de chacun joue un rôle déterminant dans le parcours professionnel, influençant le recrutement, ‘l’onboarding’ et l’évolution de carrière. Les organisations doivent donc s’emparer de ce sujet et sensibiliser leurs collaborateurs. En montrant l’exemple, elles ouvriront la voie à une société plus inclusive ».

Crédit : Opinion way pour le groupe Apicil

L’ensemble des acteurs de la société doit agir en faveur de l’inclusion alors que les discriminations persistent
58% des Français considèrent que la société française est inclusive, en recul de 5 points par rapport à 2024 où ce sentiment avait atteint un niveau record de 63%. Ce déclin est particulièrement marqué chez les jeunes de moins de 35 ans (59%, -8 points), et encore plus chez les 18-24 ans (60%, -14 points). Par ailleurs, les hommes sont de nouveau plus nombreux à estimer que la société française est inclusive (63%, -5 points) par rapport aux femmes (54%, -5 points).

Ce constat s’accompagne d’une baisse de l’intérêt des Français vis-à-vis de l’inclusion même s’il reste fort : 50% d’entre eux se disent concernés par l’inclusion (-6 points), et 64% déclarent agir au quotidien pour lutter contre les discriminations (-2 points). Les plus jeunes demeurent plus sensibles à  l’inclusion (62%, -4 points) que leurs aînés (42%, -7 points).

Le recul de l’inclusion perçu au sein de la société française va de pair avec une perception croissante des discriminations. Un Français sur trois (30%) affirme qu’il existe des discriminations dans tous les domaines testés, soit une hausse de 3 points par rapport à 2024. Ce sont les personnes âgées de moins de 35 ans (39%) et les femmes (36%) qui perçoivent le plus de discriminations. L’origine ou la race supposée (85%, +3 points), le handicap (83%, -1 point) et l’apparence physique (83%, stable) sont les formes de discrimination les plus relevées par les Français. 

Face à la prégnance des discriminations, tous les acteurs de la société sont appelés à agir. Pour les Français, ceux qui ont un rôle à jouer en matière d’inclusion sont : les citoyens (91%), les pouvoirs publics (89%), les écoles (88%) et les entreprises (87%, dont 91% des moins de 35 ans). En revanche, pour seulement un Français sur deux (54%), les pouvoirs publics agissent suffisamment pour favoriser l’inclusion dans la société française. L’engagement de l’école (63%), de la famille (63%) et des associations (72%) est jugé plus positivement, mais leurs actions pourraient être renforcées.

Crédit : Opinion way pour le groupe Apicil

Les entreprises doivent poursuivre leur engagement en matière d’inclusion
Si les Français ne sont que 51% à juger les actions des entreprises en faveur de l’inclusion suffisantes, les salariés, quant à eux, ont une perception plus positive. En effet, près des deux tiers (63%, -3 points) estiment appartenir à une entreprise engagée dans une politique d’inclusion pour lutter contre les discriminations, et 75% considèrent qu’elle favorise l’inclusion.

Le déploiement d’une politique d’inclusion au sein des entreprises est d’autant plus essentiel que plus de la moitié des actifs (51%) affirment qu’il s’agit d’un critère important lorsqu’ils postulent un emploi. Cette attente est encore plus marquée chez les salariés de moins de 35 ans (64%), comparé à leurs aînés (44%).

Par ailleurs, la décision de certaines entreprises américaines d’abandonner leurs politiques de diversité, équité et inclusion (DEI) influence peu l’opinion des Français : seul un sur trois (37%) pourrait changer d’avis concernant l’inclusion dans les entreprises françaises à la suite de cette décision. Les jeunes de moins de 35 ans sont les plus susceptibles de revoir leur point de vue (52% contre 30% chez ceux plus de 50 ans), soulignant l’importance de poursuivre les efforts de sensibilisation sur l’inclusivité et ses bénéfices.

Pour renforcer l’inclusion au sein des organisations, les Français attendent en priorité des actions en faveur du maintien dans l’emploi des seniors (27%, -2 points), suivies de la sensibilisation de l’ensemble des salariés (26%, +3 points), de l’anonymisation des CV (22%, -2 points), et la création de services dédiés à l’accompagnement des travailleurs en situation de handicap (20%). 

Crédit : Opinion way pour le groupe Apicil

Les discriminations liées à l’apparence physique : une réalité bien prégnante en entreprise
Dans un contexte où près des deux tiers des entreprises (64%) n’imposent pas de code vestimentaire, 70% des salariés français considèrent que leur entreprise agit peu pour lutter contre les préjugés liés à l’apparence physique et seuls 43% y ont été sensibilisés.
Les préjugés liés à l’apparence physique sont pourtant tenaces dans le monde professionnel : aux yeux de la quasi-totalité des Français (97%), elle exerce une influence sur au moins une étape de la carrière. Ainsi, ils estiment qu’elle joue un rôle primordial dans le recrutement (77%), l’intégration des nouveaux embauchés (71%), l’accès à de nouvelles missions (71%), ainsi que pour les promotions (68%) et les augmentations (54%).
De plus, près de neuf personnes interrogées sur dix (88%) jugent que certaines attitudes ou apparences ne sont pas professionnelles, renforçant les stéréotypes. En tête des critères jugés non professionnels figurent l’attitude corporelle, qu’il s’agisse de la posture ou de la gestuelle (52%, devant les cheveux colorés (51%), les piercings (50%) et les tatouages visibles (42%).
De manière générale, la grande majorité des salariés se sentent à l’aise avec leur physique actuel au sein de leur entreprise (75%) et considèrent pouvoir être eux-mêmes sur leur lieu de travail (72%). Pourtant, conscients de l’importance de l’apparence, ils sont 59% à veiller à leur apparence physique et 58% à leur tenue vestimentaire.

Crédit : Opinion way pour le groupe Apicil

De façon plus marquée, près d’un travailleur sur trois (31%) a déjà adapté son apparence à la suite d’une remarque sur son apparence ou sa tenue au sein de son entreprise. Les jeunes salariés sont les plus nombreux à avoir effectué ce changement (44%, contre 18% chez ceux âgés de 50 ans et plus).
Plus que des a priori, un salarié sur trois (32%) a déjà été témoin de discriminations au sein de son entreprise, en raison d’une tenue vestimentaire (26%) ou de l’apparence physique (25%). Un sur quatre (25%) en a même été victime, que ce soit en lien avec sa tenue (20%) ou son apparence physique (20%). Ces discriminations émanent principalement de collègues (52% pour la tenue vestimentaire et 46% pour l’apparence physique). Les jeunes salariés ont davantage été témoins de situations de ce type de discriminations (44%), tout comme ils en ont davantage été victimes (32%).

Ces comportements suscitent de l’inquiétude : près d’un quart des travailleurs (24%) craignent de subir des discriminations au sein de leur entreprise. Sous la pression du regard des autres, 57% des Français seraient prêts à réaliser au moins un ajustement physique pour des raisons professionnelles. Les concessions les plus fréquentes sont le changement du style vestimentaire (37%, dont 17% l’ont déjà fait) et la coupe de cheveux (27%, dont 13% l’ont déjà fait). Près d’un jeune sur trois âgé de 18-24 ans (29%) se dit même prêt à recourir à la médecine esthétique pour des raisons professionnelles, contre seulement 12% de l’ensemble de la population.

« L’inclusion ne doit pas être un simple affichage, mais une dynamique concrète et continue. »

Sofiene Chaabani, responsable domaine RH : inclusion, emplois & carrières chez Apicil

« Les discriminations liées à l’apparence physique et vestimentaire sont bien présentes dans les entreprises, au point que de nombreux salariés seraient prêts à la modifier pour les éviter, complètet Sofiene Chaabani, responsable domaine RH : inclusion, emplois & carrières au sein d’Apicil. Face à cette réalité, les employeurs doivent prendre conscience de leur rôle dans la lutte contre ces discriminations. Au sein du groupe Apicil, notre plan d’actions Diversité inclut des mesures dédiées à l’apparence physique. Nous avons, par exemple, organisé une conférence pour sensibiliser nos collaborateurs a son impact sur la vie professionnelle et personnelle. L’inclusion ne doit pas être un simple affichage, mais une dynamique concrète et continue qui garantit à chacun la possibilité d’évoluer dans un cadre professionnel bienveillant et équitable. »

Crédit : Opinion way pour le groupe Apicil

L.G.

Méthodologie
Le baromètre « Inclusion – Le regard des Français sur les discriminations liées à l’apparence physique en entreprise » a été réalisé auprès d’un échantillon représentatif de 1043 Français âgés de 18 ans et plus. L’échantillon a été constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle, de catégorie d’agglomération et de région de résidence. L’échantillon a été interrogé par questionnaire auto-administré en ligne sur système CAWI (Computer Assisted Web Interview). Les interviews ont été réalisées du 19 au 21 février 2025.


Discriminations : 7 salariés sur 10 considèrent que leur entreprise n’agit pas assez

Alors que vient de se tenir la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, en France, d’après les données du ministère de l’Intérieur, le nombre d’actes à caractère raciste enregistrés chaque année a fortement fluctué depuis 2000, mais a connu une forte augmentation ces dernières années. Le Service central du renseignement territorial a ainsi enregistré 159 actes racistes en 2000, contre 1 221 en 2023.

Cependant, si le nombre d’actes racistes recensés en France a connu une forte augmentation depuis le début du siècle, la part des personnes se considérant racistes a plutôt eu tendance à diminuer. Comme le montrent les résultats d’un baromètre Ipsos, la part des personnes se disant un peu/pas très/plutôt racistes en 2000 était de 69 %. Cette même année, le même nombre de personnes interrogées se disaient « un peu raciste » et « pas raciste du tout » : 31 %. En 2023, dernière année pour laquelle les données sont disponibles, la part des personnes se considérant « pas racistes du tout » « pas raciste du tout » tait de 59 %, contre 40 % se disant un peu, pas très ou plutôt racistes.

La ‘race’ reste un facteur majeur de discrimination en France
Par ailleurs, comme le montrent de récentes données d’OpinionWay (voir graphique ci-dessus), l’origine ou l’appartenance à une race supposée sont encore considérées comme l’une des principales causes de discriminations en France. Plus de 80 % des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête pensaient en effet que le racisme était à l’origine de discriminations en France. L’appartenance à une race était ainsi un peu moins mentionnée comme source de discrimination que le handicap (84%), et l’apparence physique (83%), et se classait au dessus de l’âge (81%) ou la religion (79%).

De Valentine Fourreau pour Statista


Discriminations : 7 salariés sur 10 considèrent que leur entreprise n’agit pas assez

La mission locale jeunes Grand Avignon organise un évènement sur le thème de la prévention et de la lutte contre les discriminations le jeudi 17 novembre, au cinéma Pathé Cap Sud. Cet évènement s’inscrit dans la continuité d’un ensemble d’actions menées par la mission locale auprès des jeunes et des salariés pour prévenir et lutter contre les discriminations.

L’objectif de cette matinée est de sensibiliser à la prévention l’ensemble des salariés de la mission locale et des jeunes de 16 à 25 ans et de présenter les différentes actions menées sur le territoire directement auprès des jeunes de la mission locale ou via les partenaires.

Cela sera aussi l’occasion de recevoir les jeunes de la mission locale de Rambouillet qui présenteront leur spectacle sur ce thème et permettront de créer du dialogue.

Programme

  • 8h30-9h : accueil
  • 9h-9h30 : discours d’ouverture et signature de la charte de la lutte contre la discrimination au niveau régional.
  • 9h30-10h : théâtre forum sur les discriminations Yes You Can groupe de jeunes accompagnés par la mission locale de Rambouillet.
  • 10h10-10h40 : présentation des ateliers participatifs déployés depuis 2019 par la mission locale jeunes Grand Avignon auprès des jeunes dans le cadre de la recherche action discrimination portée par l’ARDML PACA.
  • 10h50-11h35 : spectacle autour des discriminations Yes You Can groupe de jeunes accompagnés par la mission locale de Rambouillet.

Tout au long de la matinée, les partenaires du territoire seront également présents pour présenter leur offre de service. Seront présents : Le Refuge, LICRA, CIDFF, LGBTQ, la MRAP, MDA, Planning familial, Sos Avocat d’enfants.

Jeudi 17 novembre de 9h à 12h au cinéma Pathé Cap Sud, 175 rue Pierre Seghers, Avignon.

J.R.


Discriminations : 7 salariés sur 10 considèrent que leur entreprise n’agit pas assez

En l’absence de clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, l’interdiction faite à une salariée de porter un foulard islamique caractérise l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses de l’intéressée.

La justification de l’employeur étant explicitement placée sur le terrain de l’image de l’entreprise au regard de l’atteinte à sa politique commerciale, laquelle serait selon lui susceptible d’être contrariée au préjudice de l’entreprise par le port du foulard islamique par l’une de ses vendeuses, la cour d’appel a exactement retenu que l’attente alléguée des clients sur l’apparence physique des vendeuses d’un commerce de détail d’habillement ne saurait constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante, au sens de l’article 4, § 1 de la Directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 (N° Lexbase : L3822AU4), tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne.

Le licenciement de la salariée, prononcé au motif du refus de celle-ci de retirer son foulard islamique lorsqu’elle était en contact avec la clientèle, étant discriminatoire, doit donc être annulé.


Certaines affaires en rappellent d’autres [1], comme en témoignent les faits à l’origine de l’arrêt rendu le 14 avril 2021 par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

À son retour d’un congé parental de six mois, une salariée engagée en qualité de vendeuse depuis trois ans dans une enseigne de prêt-à-porter de vêtements féminins se présente à son poste avec un foulard islamique dissimulant ses cheveux, ses oreilles et son cou. À la suite de son refus de le retirer, l’employeur la dispense d’activité, lui propose le compromis de ne porter le voile que dans la réserve du magasin et, s’étant heurté à un nouveau refus, procède à son licenciement. S’estimant victime d’une discrimination en raison de ses convictions religieuses, la salariée, soutenue par le collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), aujourd’hui dissous [2], saisit la juridiction prud’homale de demandes tendant à la nullité de son licenciement. Elle est déboutée en première instance, mais obtient gain de cause en appel [3]. Le pourvoi formé par l’employeur contre cette décision est rejeté par la Cour de cassation.

Reprenant les principes qu’elle avait dégagés dans l’arrêt « Micropole » du 22 novembre 2017 [4], la Chambre sociale rappelle, en effet, qu’en l’absence de clause de neutralité dans le règlement intérieur ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, l’interdiction faite à la salariée de porter le foulard islamique caractérise l’existence d’une discrimination fondée sur les convictions religieuses (I.), qui ne peut être justifiée que par des exigences professionnelles essentielles et déterminantes, lesquelles ne sauraient résulter de l’attente alléguée des clients sur l’apparence physique des vendeurs d’un commerce de détail (II.). Si le mode d’emploi des restrictions à la liberté religieuse des salariés n’est pas nouveau, l’originalité de cette affaire tient aux arguments de l’employeur, dont aucun n’a convaincu la Cour de cassation, fidèle à la rigueur de sa position.

I. L’indispensable clause de neutralité

Depuis l’arrêt du 22 novembre 2017, la Cour de cassation fait du règlement intérieur ou des notes de services le support exclusif de l’instauration d’une politique de neutralité dans l’entreprise. C’est ce principe que commence par rappeler la Chambre sociale dans l’arrêt du 14 avril 2021. Reprenant une formule désormais classique, elle affirme que « l’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l’article L. 1321-5 du Code du travail dans sa rédaction applicable, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients ».

En l’espèce, l’employeur s’appuyait sur la clause du règlement intérieur imposant aux salariés une « présentation correcte et soignée » et faisait valoir la politique constante de neutralité mise en œuvre dans son entreprise consistant à écarter systématiquement les salariées se présentant avec un foulard [5]. Selon lui, le code vestimentaire ainsi prévu suffisait et, en subordonnant la preuve de l’existence d’une politique de neutralité au sein de l’entreprise à l’existence d’une clause dans le règlement intérieur, la cour d’appel aurait ajouté une exigence de source formelle à la neutralité que les textes ne comportent pas. Cet argument pouvait se prévaloir de la position de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire « Achbita » [6] qui, en imposant l’existence d’une « règle interne de neutralité », ne semblait exiger ni écrit ni support particulier. Mais, la position adoptée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 22 novembre 2017 est infiniment plus restrictive et formaliste. La neutralité dans l’entreprise ne peut résulter, selon elle, que d’une clause expresse du règlement intérieur ou d’une note de service, et ce, surtout depuis que la loi du 8 août 2016 (N° Lexbase : L8436K9C) a inséré l’article L. 1321-2-1 dans le Code du travail (N° Lexbase : L6642K9U) qui en prévoit expressément la faculté [7]. Il en résulte que tout autre support de la règle de neutralité doit être exclu qu’il s’agisse d’une « consigne verbale [ou] de tout autre acte écrit, tels une charte ou un accord d’entreprise » [8], voire un contrat de travail [9]. Elle ne saurait pas plus se déduire d’une clause restreignant la liberté vestimentaire des salariés comme l’illustre l’arrêt du 14 avril 2021 qui confirme que la Haute juridiction n’entend rien lâcher en la matière. En d’autres termes, c’est donnant-donnant [10] : la possibilité pour l’employeur de restreindre les droits fondamentaux des salariés est soumise, en contrepartie, au respect des garanties qui résultent de la communication du règlement intérieur à l’inspecteur du travail et au contrôle de celui-ci et, le cas échéant, du juge administratif sur ses clauses ainsi que de la consultation obligatoire du comité social et économique. On notera, de façon incidente, que la question des entreprises de moins de 50 salariés dans lesquelles l’édiction d’un règlement intérieur n’est pas obligatoire est toujours en suspens. L’instauration d’un principe de neutralité devra-t-elle impérativement passer par l’élaboration d’un règlement intérieur, comme cela semble s’évincer de la jurisprudence de la Cour de cassation [11], ou bien, pour ces entreprises, « la règle interne » pourra-t-elle prendre une autre forme [12] ?

La question ne se posait pas en l’espèce, et c’est logiquement que la Haute juridiction approuve la cour d’appel d’avoir relevé l’absence de clause de neutralité dans le règlement intérieur interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail et d’en avoir déduit que l’interdiction faite à la salariée de porter le foulard islamique caractérisait l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses de l’intéressée que seule une exigence professionnelle essentielle et déterminante pouvait justifier.

II. Le rejet de l’attente de la clientèle comme justification

Comme précédemment pour le port du foulard [13] et, plus récemment, de la barbe [14], la Chambre sociale rappelle, d’abord, en visant tout à la fois les textes relatifs aux libertés (C. trav., art. L. 1121-1 N° Lexbase : L0670H9P, y compris dans le règlement intérieur : art. L. 1321-3, 2° N° Lexbase : L7923LCG) et ceux sur les discriminations (C. trav., art. L. 1132-1 N° Lexbase : L4889LXD et L. 1133-1 N° Lexbase : L8177LQW), que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché. Elle rappelle ensuite que, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne [15], la notion d’exigence professionnelle essentielle et déterminante renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause et qu’elle ne saurait couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client [16].

En l’espèce, l’employeur pensait réussir l’examen. C’est que, à l’époque des faits en août 2015, ni la Cour de justice de l’Union européenne ni la Chambre sociale n’avaient clairement pris position sur cette question. L’employeur pouvait légitimement s’en tenir à la solution de l’Assemblée plénière dans l’affaire de la crèche Baby Loup qui avait examiné les faits au seul regard des textes sur les libertés (C. trav., art. L. 1121-1 et L. 1321-3) [17]. Ainsi, selon lui, la restriction était, d’abord, justifiée par la nature et les conditions d’exercice de l’activité de la salariée, en ce que les fonctions de vendeuse s’exercent principalement sur une surface de vente spécifique, construite autour de l’œil de la cliente et avec pour objectif de mettre en valeur les produits de l’entreprise et d’exprimer la féminité de sa clientèle sans dissimuler son corps et ses cheveux. Ce premier argument n’est pas dénué de pertinence. On conviendra, en effet, que l’affirmation ostensible d’une conviction aussi personnelle et intime qu’une conviction religieuse peut rendre difficile la naissance d’une relation commerciale dans un magasin de prêt-à-porter féminin. La restriction était justifiée, ensuite, toujours selon l’employeur, par la volonté de soustraire les magasins aux débats de société clivants et de préserver la paix sociale entre les salariés et avec les clients en favorisant le « vivre ensemble ». Les arguments avaient séduit en d’autres temps. On se souvient, en effet, de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Saint Denis de la Réunion, le 9 septembre 1997 [18], validant le licenciement d’une salariée qui portait un vêtement la recouvrant de la « tête aux pieds », ne reflétant pas « l’esprit mode » de la boutique pour laquelle elle travaillait, et qui refusait d’adopter une tenue conforme à l’image de marque de l’entreprise. Mais les temps changent et si la décision réunionnaise était justifiée au regard des textes alors applicables, la solution serait différente aujourd’hui [19] depuis la Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 (N° Lexbase : L3822AU4) telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne, qui a livré une définition large de la notion de religion, entendue comme couvrant tant le forum internum, c’est-à-dire le fait d’avoir des convictions, que le forum externum, à savoir la manifestation de la foi religieuse en public ou en privé, notamment par les pratiques et l’accomplissement des rites, ce qui inclut le port de signes religieux.

En l’espèce, la cour d’appel de Toulouse, appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, avait relevé que l’employeur avait explicitement fondé sa justification sur l’image de l’entreprise et soutenait que le port du foulard islamique par l’une de ses vendeuses portait atteinte à sa politique commerciale. Sans surprise, la Cour de cassation l’approuve en conséquence d’avoir retenu que l’attente alléguée des clients sur l’apparence physique des vendeuses d’un commerce de détail d’habillement ne saurait constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

La Haute juridiction ajoute ainsi un nouveau verrou aux possibilités de justifications des restrictions à la liberté religieuse. Après le rejet des souhaits ou des préférences des clients, l’image de l’entreprise ne passe pas avec plus de succès la difficile épreuve des exigences professionnelles essentielles et déterminantes. Cela confirme que, à l’exception des impératifs d’hygiène et de sécurité [20], dans la balance des libertés et droits fondamentaux, la liberté religieuse l’emporte sur la liberté d’entreprendre. On ne peut néanmoins s’empêcher de penser qu’il y a sinon une certaine hypocrisie [21], du moins une contradiction à dire que l’attente de la clientèle ne saurait justifier l’interdiction du port du voile à une vendeuse, mais qu’elle pourrait être prise en compte par l’employeur pour instaurer dans l’entreprise une politique de neutralité interdisant aux salariés de manifester leurs convictions, notamment religieuses. Il ne fait, en effet, aucun doute que si, en l’espèce, une telle clause avait été insérée dans le règlement intérieur, concernant des vendeuses de prêt-à-porter féminin, elle aurait – sous réserve d’être générale et indifférenciée – répondu aux exigences posées par la jurisprudence et permis à l’employeur d’échapper à la condamnation.

Quoi qu’il en soit, la présente décision confirme que les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 mars 2017 et de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 22 novembre 2017 n’ont pas clos le débat suscité par l’intrusion du fait religieux en entreprise. En témoignent encore les deux affaires dont est saisie la Cour de justice de l’Union européenne et qui ont donné l’occasion à l’avocat général de se prononcer sur le caractère ostensible ou visible du foulard islamique [22].

Par Joël Colonna et Virginie Renaux-Personnic, Maîtres de conférences à la Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille, Centre de Droit social (UR 901), le 18-05-2021


[1] V. l’affaire « Baby Loup », Cass. soc., 19 mars 2013, n° 11-28.845, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5857KA8), Gaz. Pal., 8 juin 2013, p. 13, note J. Colonna et V. Renaux-Personnic ; D., 2013, p. 956, avis B. Aldigé ; JCP S, 2013, 1146, note B. Bossu ; Ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369 (N° Lexbase : A7715MR8), Gaz. Pal., 23 août 2014, p. 39, note J. Colonna et V. Renaux-Personnic ; JCP S, 2014, 1287, note B. Bossu. V., pour une caissière voilée de Carrefour, CPH Lyon, sect. com., 18 septembre 2014, n° 13/00187, Gaz. Pal., 13 janvier 2015, p. 33, note J. Colonna et V. Renaux-Personnic.
[2] Décret du 2 décembre 2020, portant dissolution d’un groupement de fait, JO 3 décembre 2020, texte n° 20.
[3] CA Toulouse, 6 septembre 2019, n° 17/01658 (N° Lexbase : A7850ZMP), JCP S, 2019, act. 400.
[4] Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19.855, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8116WZM), Ch. Radé, Port du voile et neutralité dans l’entreprise : le client n’est pas roi !, Lexbase Social, décembre 2017, n° 722 (N° Lexbase : N1556BXW) ;  JCP S, 2017, 1399, avis C. Courcol-Bouchard et 1400, notes B. Bossu et F. Pinatel. V. également, Fait religieux dans l’entreprise : vers une généralisation du principe de neutralité, LPA, 5 juillet 2018, n° 134, p. 6, note J. Colonna et V. Renaux-Personnic.
[5] Faut-il préciser qu’une telle pratique constitue une discrimination directe.
[6] CJUE, 14 mars 2017, aff. C-188/15 (N° Lexbase : A4830T3B). V. en ce sens, J.-F. Cesaro, obs. sous Cass. soc., 8 juillet 2020, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A71533QY), JCP E, 2021, 1232, n° 2.
[7] V. M.-C. Pottecher, Les clauses de neutralité en pratique, Table ronde « L’entreprise confrontée aux comportements religieux », organisée à la Faculté de droit d’Aix-Marseille le 21 février 2020, Lexbase Social, mai 2020, n° 824 (N° Lexbase : N3297BYR).
[8] V. la note explicative accompagnant l’arrêt du 22 novembre 2017 ; Cour de cassation, Étude annuelle 2018, Le rôle normatif de la Cour de cassation, spéc. p. 217 [en ligne] ; C. Courcol-Bouchard, La religion dans l’entreprise, JCP S, 2018, 1043. Contra, Ch. Radé, Port du voile et neutralité dans l’entreprise : le client n’est pas roi !, Lexbase Social, décembre 2017, n° 722 (N° Lexbase : N1556BXW).
[9] Contra, Ch. Radé, préc..
[10] V. en ce sens, J.-G. Huglo, Quelques précisions sur les clauses de neutralité dans le règlement intérieur, SSL, 4 décembre 2017, n° 1793, p. 11.
[11] En ce sens, G. Loiseau, Loi PACTE : la modification des seuils, JCP E, 2019, 1324.
[12] En ce sens, Ch. Radé, préc..
[13] Cass. soc., 22 novembre 2017, préc..
[14] Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-23.743, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A71533QY), J. Colonna et V. Renaux-Personnic, Après le voile … la barbe, Lexbase Social, juillet 2020, n° 833 (N° Lexbase : N4230BYC) ; JCP S, 2020, 2092, note B. Bossu ; D., 2020, p. 2312, obs. S. Vernac.
[15] CJUE, 14 mars 2017, aff. C-157/15 (N° Lexbase : A4829T3A).
[16] V. K. Berthou, Différences de traitement : esquisse des « exigences professionnelles essentielles » après la loi du 27 mai 2008, Droit social, 2009, p. 410 ; I. Desbarats, Entre exigence professionnelle et liberté religieuse : quel compromis pour quels enjeux ?, JCP S, 2011, 1307 ; S. Maillard-Pinon, La justification des discriminations dans l’emploi – Le regard du travailliste, Droit social, 2020, p. 310.
[17] Ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, préc..
[18] V. CA Saint Denis de la Réunion, 9 septembre 1997, D., 1998, p. 546, note S. Farnocchia. V. aussi, pour une vendeuse de fruits et légumes, CA Paris, 16 mars 2001, n° 99/31342 (N° Lexbase : A8577C9K), RJS, 11/2001, n° 1252.
[19] L’arrêt ne précise pas si le vêtement recouvrait le visage de la salariée ou non. Si tel était le cas, il tomberait sous le coup de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010, interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public (N° Lexbase : L1365INU), ce qui englobe les commerces.
[20] Cass. soc., 8 juillet 2020, préc..
[21] V. déjà, J. Savatier, Conditions de licéité d’un licenciement pour port du voile islamique, Droit social, 2004, p. 354.
[22] V. concl. de l’avocat général Athanasios Rantos, présentées le 25 février 2021, aff. C‑804/18 et C‑341/19. L’avocat général relève qu’une règle interne d’une entreprise privée interdisant, uniquement dans le cadre d’une politique de neutralité, le port de signes ostentatoires de grandes dimensions de convictions politiques, philosophiques ou religieuses sur le lieu de travail est susceptible d’être justifiée et que le foulard islamique ne constitue pas un signe religieux de petite taille.

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