16 juin 2025 |

Ecrit par le 16 juin 2025

Le seigneur des Orano : les deux tours

Les fans de Tolkien auront la référence, les détracteurs du nucléaire y verront certainement une allusion aux forces ‘obscures’ du Mordor alors que les partisans de cette source d‘énergie, longtemps décriée et aujourd’hui revenue en grâce pour ses vertus décarbonées, y trouveront l’illustration de la puissance de la ‘lumière’ des Elfes.
Toujours est-il qu’à l’image des deux célèbres tours de la Terre du milieu, celles du site d’Orano à Tricastin sont tout aussi symboliques. Visibles à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde, elles étaient les totems d’un site industriel faisant vivre l’ensemble de la région alentour (voir encadré ‘Orano Tricastin : un mastodonte européen’ en toute fin d’article) . Pour certains riverains, elles permettaient même de prévoir la météo en fonction de la direction du panache de vapeur d’eau s’échappant de leurs sommets. C’est donc bien la fin d’une époque qu’Orano vient de débuter en entamant il y a quelques semaine la déconstruction de ces deux tours aéroréfrigérantes culminant à 123 mètres de hauteur.

Depuis quelques semaines, le groupe Orano a débuté le ‘grignotage’ des deux tours aéroréfrigérantes du site industriel de Tricastin. Hautes de 123 mètres et large de 90m à leurs bases, les deux édifices ont été mis en service en 1979. A l’époque, on ne parlait pas encore d’Orano ou même d’Areva. C’était le Cogema qui était à la manœuvre. L’entreprise avait alors été fondée en 1973 afin de se consacrer tout particulièrement aux activités d’enrichissement de l’uranium.

« Nous tournons une page de notre histoire. »

Pascal Turbiault, directeur du site Orano à Tricastin.

C’est donc dans ce cadre que l’immense usine d’Eurodif a vu le jour à Tricastin. Baptisée ‘usine Georges Besse’ depuis 1988 en mémoire de celui qui fut son fondateur puis son premier directeur général avant d’être assassiné par le groupe terroriste Action directe alors qu’il était PDG de Renault, elle a produit de quoi alimenter plus de 100 réacteurs nucléaires en France et dans le monde jusqu’à son arrêt définitif le 7 juin 2012.
A cette date, elle a été remplacée dans la foulée par l’usine Georges Besse 2 (GB II), site nouvelle génération, permettant toujours d’enrichir l’uranium sans avoir à prélever de l’eau dans le Rhône (26 millions m3/an), afin de refroidir le site en circuit fermé, et consommant 98% d’électricité en moins (l’équivalent de 3 des 4 réacteurs de la centrale nucléaire voisine d’EDF).

Les tours de refroidissement de Tricastin ont été construites dans la deuxième moitié des années 1970 avant leur mise en service en 1979. Crédit : DR/Orano

Un lieu d’exercice en milieu périlleux pour les pompiers de la région
Depuis, les deux tours aéroréfrigérantes, dont la fonction était d’évacuer la vapeur d’eau générée par la chaleur de l’activité d’Eurodif, ne servaient plus à rien. Occasionnellement, elles pouvaient encore être utilisées dans le cadre d’exercice des sapeurs-pompiers spécialisés des trois Services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) du secteur du Groupe montagne sapeurs-pompiers (GMSP) de la Drôme, ainsi que des Groupe de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux (GRIMP) du Vaucluse et de l’Ardèche. Mais rien qui ne justifie que l’on les conserve. Dès lors, leur sort était scellé. En effet, à partir du moment où il n’y a plus d’humidité, le béton des tours se met à sécher peu à peu avec le risque d’un lent effritement qui s’accompagne.

A l’arrêt depuis 2021, les tours étaient encore parfois utilisées par les groupes spécialisés des pompiers des SDIS de Vaucluse, de la Drôme ou de l’Ardèche lors d’exercice en milieu périlleux. Crédit DR/SDIS

« Avec la déconstruction de ces tours, nous tournons une page de notre histoire, confirme Pascal Turbiault, directeur du site Orano à Tricastin. C’était un symbole très fort de notre territoire. Quand nous les avons arrêtés, des habitants nous ont même demandé ensuite de refaire de la vapeur d’eau pour voir le sens du vent. »

Du grignotage plutôt qu’un foudroiement
Cette déconstruction des tours ‘aéro’ s’inscrit ainsi dans l’ensemble du démantèlement d’Eurodif planifié au-delà de 2050 (voir encadré ci-dessous : ‘Démanteler Eurodif : un chantier hors-normes jusqu’en 2050’). Plusieurs scenarii ont été envisagés dont le foudroyage à l’aide d’explosifs, mais l’échec du basculement de la cheminée EDF d’Aramon en 2023 n’a certainement pas incité les responsables d’Orano à privilégier cette solution.
C’est donc finalement la technique dite de ‘grignotage’ qui a été validée par l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), organisme national supervisant les autorisations sur ce type d’intervention concernant des installations nucléaires. Cette technique consiste à déconstruire très progressivement la coque de la tour en commençant par le haut, en réduisant petit à petit sa hauteur avec un engin de type ‘pince à béton’. Avantage : ce procédé n’a pas d’impact sur les activités industrielles voisines.

Après des travaux préparatoires permettant de réaliser un socle en béton pour la soutenir (l’équivalent de 50 camions toupie), une grue de 110m de haut a été installée. Equipée d’un système de démolition appelé ‘Flight demolition system’, elle a commencé à grignoter la tour 2 dont l’épaisseur de béton est de 16 cm en haut et 23 cm en bas.
Une fois arrivé à une cinquantaine de mètres de hauteur, la grue sera démontée pour aller grignoter la tour 1, et un second engin viendra (une pelle mécanique équipée d’un bras de 50m) terminer la déconstruction depuis l’extérieur de la tour avant de s’attaquer à la suivante séparée d’une cinquantaine de mètres. La tour 2 devrait être arasée pour la fin de l’année et la tour 1 mi-2026.

En charge du chantier de déconstruction des tours d’Eurodif, le groupe italien Despe est aussi intervenu sur celui de l’Orange-Vélodrome lors de son extension en 2010.
Crédit : Devisubox/DR/Réalisation GFC construction pour Arema

De l’Orange-Vélodrome à Tricastin
C’est l’entreprise italienne Despe (Demolizione speciali) qui est la manœuvre de ce chantier. Le groupe fondé par Giuseppe Panseri est tout particulièrement implanté en France et aux Etats-Unis. Spécialisée dans les chantiers difficiles ou à forte contrainte, la société transalpine est par exemple intervenue au sein du site de production de combustible nucléaire de Bosco Marengo, de la centrale nucléaire de Caorso mais aussi sur le chantier du stade de l’Orange-Vélodrome lors de son agrandissement en 2010.

Au total, ce sont près de 25 000 tonnes de béton armé et de matériaux valorisables qui devraient mis à bas. L’ensemble des matériaux issus de ces opérations de démantèlement sont des déchets conventionnels valorisables, c’est-à-dire qu’ils n’ont jamais été en contact avec de la matière uranifère ou radioactive.
« Les ferrailles seront évacuées pour être recyclées et les gravats seront conservés pour être réutilisés, par exemple, comme remblais », précise le directeur du site Orano à Tricastin. L’opération ‘2 tours’ représente un coût de 6M€ pour leur déconstruction.

Laurent Garcia

Démanteler Eurodif : un chantier hors-normes jusqu’en 2050
S’étendant sur une superficie de 190 000 m2, soit près d’une trentaine de terrain de football, le planning du démantèlement d’Eurodif s’étend de l’arrêt de la production en 2021, à la fin 2051 où l’ensemble des opérations doivent être achevées.
Ce chantier concerne notamment les 1 400 étages de la cascade de diffusion (voir photo ci-dessus. Cela représente 160 000 tonnes d’acier (l’équivalent d’une vingtaine de Tour Eiffel), 30 000 tonnes d’équipements en divers métaux et plus de 1 300 km de tuyauterie. En moyenne, près de 200 personnes interviendront pendant toute la durée des travaux de ces 25 prochaines années. La totalité du démantèlement représente un coût de 1,2 milliard d’Euros.

Orano Tricastin : un mastodonte européen
Orano Tricastin est un des plus grands sites nucléaires d’Europe. S’étendant sur une surface de 650 ha il implanté à cheval sur deux départements : le Drôme et le Vaucluse. Il représente près de 2 500 emplois directs et 2 000 indirects sur cette plateforme industrielle du Tricastin, où le groupe a investi plus de 5 milliards d’euros ces 15 dernières années pour renouveler son outil industriel de conversion (usine Philippe Coste), d’enrichissement (GB II). Ces nouvelles installations assurent ainsi la pérennité des activités du site pour les 40 prochaines années. Par ailleurs, Orano Tricastin verse annuellement de l’ordre de 30M€ de taxes et impôts et réalise chaque année près de 300M€ d’achats de fournitures et services dont les deux tiers sont réalisés en local.
Par ailleurs GB II est le plus grand complexe d’enrichissement en Europe sur un même site et représente 30% de la capacité occidentale. L’uranium enrichi, à usage exclusivement civil, qui y est produit permet de livrer l’équivalent de 70 réacteurs dans le monde et alimenter en énergie bas carbone comparativement 90 millions de foyers, soit l’équivalent de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Les capacités additionnelles liées à l’extension de l’usine Georges Besse 2 permettront à ses clients d’alimenter 30 millions de foyers supplémentaires.


Le seigneur des Orano : les deux tours

Suite à la publication du décret d’autorisation au Journal officiel, le démantèlement de l’ancienne usine d’enrichissement exploitée par la société Eurodif sur le site du Tricastin va pouvoir débuter.

 

Après plus de 30 ans d’ex- ploitation, l’ancienne usine d’enrichissement exploitée par la société Eurodif sur le site du Tricastin va être démantelée. L’officialisation du décret autorisant Orano à procéder aux opérations vient en effet d’être publiée au Journal officiel du 7 février dernier.

« Nous attendions la publication du décret d’autorisation du démantèlement, explique Jean-Jacques Dreher, directeur d’Orano Tricastin, afin de nous permettre de finaliser les études, construire les ateliers de démantèlement des équipements de cette usine et ensuite débuter les opérations de démantèlement. » Dénommée depuis 1988 ‘usine Georges-Besse’ (GB I), en mémoire de celui qui fut son fondateur puis son premier directeur général avant d’être assassiné en 1986 par le groupe terroriste d’extrême gauche ‘Action directe’, l’usine a cessé définitivement sa production en juin 2012 après avoir peu à peu laissé place à l’usine GB II, à partir de 2010, pour produire de l’uranium enrichi afin de fournir l’équivalent de 70 réacteurs dans le monde, soit de quoi alimenter 90 millions de foyers dans le monde.

 

■ 160 000 tonnes d’acier

Si les opérations de démantèle- ment consistent à déconstruire les équipements industriels, des unités de traitement seront mises au préalable en place à l’intérieur des bâtiments des usines. Ces unités assureront la découpe des équipements industriels afin d’en réduire le volume et d’en assurer le conditionnement. Et il ne s’agit pas d’une mince affaire puisqu’il est question de démanteler les 1 400 étages des appareils de diffusion. Cela représente 160 000 tonnes d’acier, 30 000 tonnes d’équipements en divers métaux et plus de 1 300 kilomètres de tuyauterie répartis dans les 4 bâtiments de production représentant une superficie totale de 190 000 m2 dont 50 000 m2 pour le plus important. Les éléments récupérés seront conditionnés et les déchets transférés à destination des filières d’élimination spécialisées de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra).

 

■ 30 ans de chantier

Le démantèlement des autres bâtiments nucléaires (ateliers, laboratoire, annexe) sera mené suivant la même logique : dépose puis traitement des équipements. Après la réalisation des opérations de démantèlement, les unités de traitement créées ainsi que les équipements utilisés seront démantelés à leur tour. Les bâtiments seront ensuite assainis. Des mesures et des contrôles, y compris au niveau des sols, permettront de vérifier que les objectifs sont bien atteints, afin de retirer le classement nucléaire et ainsi obtenir un classement conventionnel des structures et des bâtiments. L’ensemble de ces opérations de démantèlement s’échelonnera sur une durée prévisionnelle de 30 ans, et devant être achevé au plus tard au 31 décembre 2051.

 

■ Gestion des déchets

Ce démantèlement va générer des déchets radioactifs ou conventionnels. Les déchets radioactifs seront transférés à destination des filières d’élimination spécialisées de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) qui assurent leur gestion à long terme. Actuelle- ment en France, un déchet produit dans une installation nucléaire est qualifié de radioactif en fonction de son lieu de production et non de sa radioactivité. Qu’il soit radioactif ou non, un déchet provenant d’une zone produisant potentiellement des déchets nucléaires doit être géré comme tel. Dans le reste de l’Europe, la qualification d’un déchet se fait sur la base de sa radioactivité : en dessous d’un certain seuil de radioactivité, un déchet n’est donc pas considéré comme radioactif. Néanmoins, des alternatives à la gestion des déchets TFA (Très faible activité) telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui en France existent. Ainsi, l’application d’un seuil de libération, au-dessous duquel un déchet n’est plus considéré comme radioactif et peut être utilisé dans l’industrie conventionnelle, demeure une option envisageable dans certaines conditions.

136 000 tonnes de métaux très faiblement contaminés seront générées lors du démantèlement de l’usine Eurodif. Pour ces aciers, un procédé de fusion du métal permet- tra de séparer les résidus de fusion qui constitueront le déchet, du métal propre et décontaminé. Une méthode qui permet d’obtenir des lingots de métal non contaminés pour un usage industriel.

https://www.echodumardi.com/tag/eurodif/   1/1