16 juin 2025 |

Ecrit par le 16 juin 2025

Konstantinos Chalikakis : « Une goutte d’eau n’a pas de frontières »

Entretien avec l’hydrogéologue Konstantinos Chalikakis, porteur de GeEAUde, la chaire partenariale d’Avignon Université lancée il y a tout juste un an. Avec cet outil unique en France, réunissant le monde scientifique et les acteurs socio-économiques de l’eau, l’enseignant-chercheur entend favoriser une meilleure connaissance de cette ressource aussi fragile qu’invisible.

Quel état des lieux peut-on dresser sur la ressource en eau aujourd’hui en France ?
« Actuellement, et d’après les chiffres officiels, 18 millions de mètres cubes d’eau sont extraits chaque jour afin de répondre à nos besoins quotidiens en eau potable. Cette eau provient de plus de 33 000 captages répartis sur l’ensemble du pays. Deux tiers de ces prélèvements proviennent des eaux souterraines et un tiers a pour origine de l’eau de surface. 18 millions de mètres cubes par jour, c’est énorme ! »

Et en Vaucluse ?
« Dans le département, la part des eaux souterraines dans notre eau potable est particulièrement importante puisqu’elle s’élève à 96%. Dans l’ensemble, le Vaucluse bénéficie d’une bonne dotation en ressources en eau. L’aquifère karstique de Fontaine-de-Vaucluse, classé depuis l’été dernier parmi les 200 sites géologiques d’exception à l’échelle mondiale (voir encadré), en est un exemple remarquable. Ce bassin d’alimentation exceptionnel, couvrant environ 1 160 km², se distingue aussi par les débits de la source de Fontaine-de-Vaucluse particulièrement élevés. Il y a aussi le grand bassin sédimentaire profond du Miocène du Comtat Venaissin qui s’étend depuis le sud de Carpentras jusqu’à Valréas. Ce sont des eaux souterraines de très bonne qualité qui ont un ‘âge’, c’est-à-dire un temps de séjour dans le milieu souterrain, de 10 000 ans en moyenne, mais on peut remonter à 40 000 ans à certains endroits. Et, bien sûr, les aquifères alluviaux du Rhône et de la Durance qui alimentent Avignon et une bonne partie des communes du département… On ne se rend pas forcément compte à quel point le Vaucluse est bien doté. Pour autant, ce n’est pas parce qu’il y a des ressources qu’il ne faut pas faire attention. »

« La pérennité d’une ressource, c’est sa capacité à se renouveler de façon naturelle. »

C’est-à-dire ?
« On parle souvent de quantité sans parler de la qualité et vice versa. Mais il faut toujours associer ces deux aspects. C’est le problème de la différence entre la pérennité et la gestion durable. La pérennité d’une ressource, c’est sa capacité à se renouveler de façon naturelle. La gestion durable, c’est comment on exploite cette ressource pour arriver à répondre à nos besoins actuels sans mettre en péril les besoins des prochaines générations. Aujourd’hui, il y a 18 millions de m3 d’eau qui sont prélevés chaque jour en France. La question est de savoir si dans le même temps, il y a aussi 18 millions de m3 qui entrent dans nos hydro-systèmes. Et quelle est la qualité de ces eaux entrantes. Et, là, on ne parle que d’eau potable, il faut aussi ajouter les autres usages comme les besoins agricoles en irrigation par exemple. »

« Produire du savoir pour qu’il reste dans nos placards cela n’a pas d’intérêt. »

Est-ce pour mieux comprendre la complexité de ces interactions que GeEAUde, la 4e chaire universitaire partenariale d’Avignon Université, a vu le jour en juin dernier sur le site d’Agroparc ?
« Il s’agit d’un outil unique en France consacré aux eaux souterraines regroupant le monde universitaire et les partenaires socio-économiques : l’équipe d’hydrogéologues de l’Université d’Avignon, l’Inrae, l’IFPEN, le DPT 84 et la Région, ainsi que les gestionnaires territoriaux comme les syndicats mixtes, les collectivités, les industriels de l’eau, les parcs naturels… Bref un rassemblement de tous les acteurs, des gens dont l’eau fait partie du quotidien. Le principe de la GeEAUde, c’est de produire et partager de la connaissance sur l’eau souterraine. Car produire du savoir pour qu’il reste dans nos placards cela n’a pas d’intérêt. Il s’agit donc de créer de vrais échanges autour de nos savoir-faire et nos expériences. Dans cette logique, nous venons de publier une carte mondiale et la base de données associée, ouverte à tous, recensant toutes les sources d’eau douce sous-marines y compris celles non-répertoriées mais dont on peut calculer la probabilité de présence. Avec GeEAUde, nous sommes aussi là pour mieux accompagner le monde politique à prendre les décisions, les plus éclairées que possible, en matière de gestion de l’eau en les aidant dans la compréhension des hydro-systèmes et leur évolution future. »

Vous avez aussi un rôle auprès du grand public ?
« Lors d’opérations comme la fête de la science qui se déroulent sur notre territoire, je pose chaque fois les mêmes questions au grand public : D’où vient l’eau que vous buvez ? D’où vient l’eau du robinet de Vaucluse ? Ils mentionnent systématiquement qu’on boit l’eau du Rhône et de la Durance alors que presque la quasi-totalité de l’eau potable du département provient des eaux souterraines, certes avec des interactions avec le Rhône et la Durance parfois. Cela veut dire que nous, en tant qu’universitaires et plus généralement le monde qui produit de la connaissance, nous nous sommes ratés quelque part. Nous n’avons pas été capables d’expliquer au grand public que l’eau souterraine, c’est un trésor invisible. Mais parce qu’on ne la voit pas, on pense parfois qu’elle n’existe pas. Cette méconnaissance, c’est la raison principale pour laquelle cette ressource est souvent mal gérée. »

Vous avez une vision très ouverte de la science ?
« La science, ce n’est pas réservé qu’aux scientifiques. C’est l’affaire de tout le monde. Expliquer la science au grand public est crucial pour une société plus informée, sensibilisée, participative, responsable et ainsi résiliente face aux défis contemporains. Si on veut que les gens comprennent les sujets, il faut qu’ils participent à l’observation. Si on demandait par exemple à tous les Vauclusiens qui ont un puits ou un forage de nous envoyer régulièrement les niveaux d’eau dans ces captages, tout en expliquant l’intérêt de faire cela, nous aurions une meilleure visibilité de ce qu’il se passe dans nos hydro-systèmes souterrains. Nous, nous sommes là pour développer de la connaissance, tout en ayant l’obligation morale et éthique d’informer le grand public et d’accompagner aux transitions. Au sein de GeEAUde on a déjà démarré et nous allons multiplier les actions en science participative. »

Votre message est-il entendu ?
« Aujourd’hui, les gens perçoivent les effets du changement climatique. Ils voient ce qu’il se passe autour d’eux. Parfois, il y a soudainement trop d’eau comme lors des inondations à Vaison-la-Romaine ou à Aramon. Et puis, il y en a de moins en moins. Le débit du Rhône a ainsi baissé de 15% depuis les années 1970. Globalement, il y a donc moins d’eau et pourtant cela ne nous empêche pas d’avoir des pelouses bien vertes ou de disposer de fontaines municipales sans recyclage. On continue de prendre de l’eau du robinet, c’est-à-dire l’eau potable, pour, par exemple, nettoyer les routes, nos voitures ou encore arroser nos pelouses. »

« C’est comme si nous utilisions une barrique de Châteauneuf-du-Pape de 20 ans d’âge pour faire une casserole de coq au vin et, en outre, le surplus, on le jette. »

Vous êtes en train de me dire qu’une commune peut laver sa chaussée avec une eau potable qui a passé 10 000 ans dans le sous-sol ?
« Oui, c’est exactement ça. On prend un produit d’excellence qui a passé beaucoup d’années dans le milieu souterrain, et qui se renouvelle très lentement, en oubliant toute la valeur que peut avoir cette eau. Dans un territoire de vignoble comme le nôtre, c’est comme si nous utilisions une barrique de Châteauneuf-du-Pape de 20 ans d’âge pour faire une casserole de coq au vin et, en outre, le surplus, on le jette. Si on veut utiliser une autre image : l’eau souterraine c’est comme l’argent dans la banque. Sauf que l’on ne sait pas combien on a sur son compte. Pourtant on continue à faire des achats et on dépense sans compter… et on ne sait pas combien on rentre en salaire. Le risque, c’est qu’un jour nous n’ayons plus d’argent. C’est aussi simple que cela. »

Heureusement, toutes les eaux n’ont pas 10 000 ans ?
« Non, il y a des eaux qui sont beaucoup plus ’jeunes’, c’est-à-dire avec un temps de séjour dans le milieu souterrain relativement court. Le temps de renouvellement de l’eau de la nappe du champ captant de la Barthelasse, par exemple, c’est de l’ordre de quelques semaines, tandis que pour l’aquifère sédimentaire du Miocène de Carpentras c’est plusieurs centaines voire milliers d’années. Cela dépend des territoires car le monde n’est pas juste et équitable, et cela commence par l’eau. On peut avoir ainsi des communes qui sont sur un territoire manquant de ressources en eau souterraine et, juste à côté, un village qui aura la chance de disposer d’une certaine abondance. Cependant, nous constatons que l’eau ne jaillit plus du sous-sol dans certains puits artésiens de notre territoire. Cela signifie que l’eau ne remonte plus sous l’effet de la pression et que le niveau des nappes a déjà commencé à baisser de façon significative par endroit en Vaucluse, à cause de la surexploitation. La pérennité de la ressource n’est donc plus assurée. »

« Combien de temps va-t-on continuer à utiliser 2 à 5 litres d’eau potable pour transporter nos urines ou nos excréments dans nos toilettes ? »

Que faut-il donc faire pour la préserver ?
« Aujourd’hui, en France, le volume d’eau potable extrait et distribué est calculé sur une base de 150 litres par jour et par habitant. Combien d’eau boit-on ? Le reste c’est pour d’autres usages (cuisine, douche, toilettes, fuite, piscine, arrosage…) et encore, on n’intègre pas les usages industriels, économiques, agricoles, agro-alimentaires… C’est absurde. Nous n’aurions jamais dû nous retrouver dans une situation où l’on consomme toute cette eau-là. Il faut donc que nous fassions un effort collectif en ayant des comportements différents. Combien de temps va-t-on continuer à utiliser 2 à 5 litres d’eau potable pour transporter nos urines ou nos excréments dans nos toilettes ? Croit-on réellement que chaque fois que nous actionnons notre chasse d’eau l’équivalent de 5 litres de pluie tombent sur notre territoire pour assurer la pérennité de la ressource ? La réutilisation des eaux, les ‘eaux grises’, serait déjà une bonne chose. Et, là, on ne parle que de pérennisation de la quantité, pas des problèmes de qualité. Il ne faut pas oublier non plus la nature dans tout cela. Les arbres, les rivières, nos écosystèmes ont aussi besoin d’eau. »

Crédit : Geaude

Les solutions sont les mêmes partout ?
« Les besoins et les contraintes ne sont pas les mêmes dans le Sud que dans le Nord de la France. Par exemple, à l’échelle européenne et nationale, il y a une volonté de passer à une irrigation sous pression. C’est plutôt une bonne chose car ce type d’irrigation permet d’utiliser moins d’eau qu’une irrigation gravitaire où l’on inonde un champ grâce à des canaux qui y transportent l’eau. Pourtant, suivre strictement ces directives en Vaucluse serait une erreur car, en été, et c’est un paradoxe, l’irrigation gravitaire dans les zones cultivées de la plaine d’Avignon remonte le niveau de l’aquifère alors qu’il devrait plutôt baisser durant cette période où ce territoire accueille encore plus de monde. En plus de cela, les canaux d’irrigation servent à l’évacuation des eaux, notamment lors des fortes pluies. Et puis, ces aménagements historiques, comme le canal Saint-Julien par exemple, ont une histoire exceptionnelle et ont permis de récolter un nombre incroyable d’observations et de données. Si on abandonne les canaux d’irrigation on verra rapidement les dégâts dans quelques années. L’irrigation gravitaire doit donc être adaptée à notre territoire qui n’est pas homogène partout. On peut donc l’arrêter en partie mais il faut le faire de la façon la plus intelligente possible selon les particularités (caractéristiques, fréquence…) des différentes zones puisqu’au sein même du Vaucluse, les besoins et les contextes ne sont pas les mêmes entre le nord-est, l’est et l’ouest du département, le sommet du mont-Ventoux, le plateau d’Albion ou les villages du sud du Luberon. Il faut adapter nos besoins aux contextes. »

Il nous faut donc repenser notre manière d’aménager nos territoires ?
« Les architectes et les urbanistes ont effectivement aussi un rôle à jouer en imaginant d’autres façons de gérer l’eau dans les bâtiments et les aménagements urbains. On a vu récemment à Valence les conséquences de très importantes chutes de pluie. Des phénomènes qui vont être amenés à se répéter de plus en plus à l’avenir. Il faut concevoir des capacités de tampon, de stockage, de ralentissement et d’écrêtage. Ce qui est arrivé en Espagne, les hydrologues l’avaient prévu. Et, malgré cela, on a donné le droit de construire à des endroits où il ne fallait pas construire. On parle des catastrophes naturelles mais, en fait, c’est une inondation. Un phénomène certes accentué par les changements climatiques mais cela reste une inondation. Et une inondation, cela arrive tout le temps. Si on décide de construire dans une zone inondable, il faut être conscient qu’un jour ou l’autre, peut-être pas notre génération, mais la génération prochaine va se retrouver noyée. »

« Ce que nous faisons à Avignon a des conséquences à Marseille. »

Que faut-il faire à l’avenir, n’est-ce pas trop tard ?
« Tout ce que nous faisons, nous aurions dû le faire il y a 30-40 ans mais il n’est jamais trop tard pour commencer. Nous devons penser aux besoins humains mais aussi à la préservation de nos écosystèmes. Il faut aussi prendre en compte les conflits d’usage entre les habitants, le sur-tourisme, les activités de loisirs, la production d’énergie, l’économie, l’agriculture… Le tout en prenant conscience de la complexité des interconnexions entre les systèmes hydrologiques. Beaucoup de choses dépendent de ce que nous faisons en amont. Ce que nous faisons à Avignon a des conséquences à Marseille. Ce que nous faisons dans la montagne de Lure a un impact à l’ouest de Vaucluse. »

Cette gestion de l’eau nécessite une réflexion à qu’elle échelle ?
« Nous avons fait beaucoup d’erreurs car nous sommes des êtres humains avec des faiblesses. Nous aimons la facilité, aller plus vite, avoir une abondance et du confort. Mais, au final, une goutte d’eau n’a pas de frontières. Elle traverse tout. Toute l’eau continentale, qu’elle soit polluée ou non, ’jeune’ ou ‘vieille’, arrive in fine dans la mer. La gestion de l’eau nécessite une réflexion à plusieurs échelles. Locale d’abord pour une gestion des ressources en eau des communes, l’optimisation des usages et des réseaux de distribution (domestiques, agricoles et industriels) ; régionale ensuite pour la coordination entre territoires et une gestion équilibrée des aquifères et des rivières partagées ; nationale après pour l’élaboration de politiques publiques, la réglementation des usages, etc. ; et internationale enfin pour la coopération sur les ressources partagées, notamment pour les fleuves et les bassins transfrontaliers et les plans d’adaptation au changement climatique. L’échelle pertinente dépend du contexte, chaque niveau est crucial mais une approche multi-échelles est essentielle pour une gestion durable et efficace de l’eau. Les gens ne se rendent pas compte à quel point tous les milieux sont liés entre eux. J’insiste : ce que nous faisons en amont peut détériorer ou même détruire un autre écosystème en aval. Il ne faut donc pas oublier que, quoi que l’on fasse en surface, on va le retrouver, dans les sous-sols. Cela peut prendre quelques années, mais on va le retrouver. »

Reprise de l’entretien publié également dans l’édition 2025 du ‘Vaucluse en chiffres’

Fontaine-de-Vaucluse : un site géologique exceptionnel
La Fontaine de Vaucluse figure parmi les 200 sites exceptionnels géologiques du monde. Cette décision a été officiellement prise par l’Union internationale des sciences géologiques (IUGS) lors de son 37e congrès qui s’est tenu en Corée-du-Sud le 27 août dernier. En France, 5 autres sites géologiques patrimoniaux ont été aussi sélectionnés : les volcans holocènes du Puy-de-Dôme, la dalle aux ammonites à Digne-les-Bains, la Mer de glace dans le massif du mont Blanc, la série ophiolitique de l’île de La Désirade dans les Caraïbes et la Montagne Pelée à la Martinique.
Crédit : Hocquel A. VPA


Konstantinos Chalikakis : « Une goutte d’eau n’a pas de frontières »

Avignon université vient d’inaugurer une nouvelle chaire universitaire. Il s’agit de GeEAUde, une structure unique en France dédiée aux eaux souterraines. Avec le changement climatique, mieux connaître ces ressources constituant la quasi-totalité de nos réserves d’eau douce devient un enjeu indispensable. Encore plus en Vaucluse où cet approvisionnement provient presque exclusivement des eaux souterraines. Objectif : se doter d’outils permettant notamment aux décideurs politiques de mieux gérer cette ressource vitale.

Avec GeEAUde, l’université d’Avignon dispose donc désormais d’une 4e chaire partenariale après celles consacrées à l’IA (étudier l’humain au travers des technologies du langage), la Chimie verte & durable du végétal (labellisée Unesco) et les Gif (Géodata immobilier foncier).
Consacrée aux eaux souterraines, ce nouvel outil unique en France regroupant le monde universitaire et des partenaires socio-économique intervient sur la « Dynamique des ressources en eau souterraine et interactions avec les écosystèmes associés ».
En clair, « il s’agit de savoir ce qu’il y a sous nos pieds », résume Carole De Souza, directrice de l’Institut Agrosciences, environnement et santé d’Avignon université à Agroparc.

« L’eau souterraine, c’est un trésor invisible. »

Konstantinos Chalikakis, porteur de la chaire GeEAUde

L’enjeu est de taille puisque les eaux souterraines représentent près de 99% des réserves d’eau douce liquide de la planète. Actuellement, elles fournissent 25% de toute l’eau douce utilisée par les êtres humains en moyenne dans le monde. En France, elles représentent 53% de l’utilisation totale en eau potable, agriculture et industrie. Et en Vaucluse, les eaux souterraines constituent 96% des sources d’approvisionnement dans le département en matière d’eau potable.

En Vaucluse, 96% des ressources utilisées pour la consommation, l’industrie et l’agriculture proviennent des eaux souterraines.©DR

Un enjeu vital pour notre avenir
« L’eau souterraine, c’est un trésor invisible, explique Konstantinos Chalikakis, enseignant chercheur au sein d’Avignon université et porteur de la chaire GeEAUde. Mais parce qu’on ne la voit pas, on pense parfois qu’elle n’existe pas. Cette méconnaissance, c’est la raison principale pour laquelle cette ressource est souvent mal gérée. »
Présentant l’avantage d’être mieux protégées que les eaux de surface comme les rivières et les lacs, elles constituent pourtant une ressource stratégique pour l’alimentation en eau potable et le maintien des écosystèmes.
« Toutefois, les eaux souterraines, ainsi que les bénéfices directs et indirects qu’elles procurent, passent trop souvent inaperçus ou sont ignorés. Ces ressources naturelles, essentielles pour l’homme et les écosystèmes, restent mal comprises, sous-évaluées, et surexploitées. Cette situation critique s’accentue en contexte méditerranéen », insiste Konstantinos Chalikakis.

Le porteur de la chaire GeEAUde Konstantinos Chalikakis dit ‘Kostas’, également enseignant chercheur au sein d’Avignon université, directeur adjoint de l’UMR-EMMAH (Unité mixte de recherche-Environnement méditerranéen et modélisation des agrohydrosystèmes), directeur du laboratoire d’hydrogéologie et responsable équipe hydro.©DR

Les objectifs de cette chaire universitaire unique en France
L’objectif de la nouvelle chaire est « de développer, tester et promouvoir des outils et des approches globales pour caractériser et modéliser les ressources en eau souterraine, ainsi que proposer des stratégies de gestion durable adaptées au contexte méditerranéen dans le cadre des changements globaux. »
Pour cela, outre Avignon université, GeEAUde s’appuie sur deux autres membres fondateurs de premier plan : le département Aqua de l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), organisme de recherche leader mondial dans son domaine, et l’IFP Energies nouvelles, autre acteur mondial majeur dans la recherche de l’énergie et de l’environnement.
Le but étant favoriser la transmission des connaissances et le partage de la collecte des données en fédérant chercheurs, décideurs, politiques, gestionnaires industriels et utilisateurs de l’eau afin de développer des outils d’aide à la décision ainsi que de gestion durable et équitable des ressources en eau souterraine.

De nombreux partenaires locaux
Conscient de l’importance de la démarche, plusieurs acteurs locaux ont, eux aussi, fait le choix de rejoindre GeEAUde comme le Conseil départementale de Vaucluse, la Communauté d’agglomération du Grand Avignon, le syndicat des eaux Rhône-Ventoux, lele Syndicat mixte du bassin des Sorgues ainsi que les groupes nationaux Suez et Veolia.

Les membres partenaires et associés de GeEAUde.©DR

« Le Département de Vaucluse est particulièrement sensibilisé aux problématiques de l’eau, rappelle Christian Mounier, président de la commission agriculture, eau et alimentation. Nous avons d’ailleurs initié fin 2022 des Etats généraux de l’eau afin de mener une réflexion concrète sur la préservation de la ressource et la sécurisation de l’approvisionnement en eau du Vaucluse. C’est donc une évidence que nous figurions dans cette nouvelle chaire. »
« Le Grand Avignon est directement intéressé par la problématique de l’eau, complète pour sa part Jérôme Gelly, directeur général des services techniques de l’agglomération. Avec nos 173 000 abonnés approvisionnés par 10 millions de m3, la Gemapi (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations), l’irrigation, l’assainissement… l’agglomération est totalement concernée par ces thématiques. »
Même constat auprès des syndicats ayant rejoint GeEAUde : « Nous desservons 180 000 personnes dans 37 communes, indique Julia Brechet, directrice de Rhône-Ventoux. Nous prélevons 13,5 millions de m3 dont plus de 12 millions de m3 proviennent d’eaux souterraines. Nous sommes donc sensibles à cette problématique puisque nous nous sommes déjà engagés dans cette démarche dès 2016 en recrutant un hydrogéologue. »
« On s’intéresse beaucoup aux réseaux des Sorgues en surface, explique Laurent Rhodet, directeur du Syndicat mixte du bassin des sorgues, mais on doit mieux comprendre ce qui se passe en dessous comme à la fontaine de Vaucluse dont le volume baisse de plus en plus. »

A la découverte des hydrosystèmes méditerranéens et vauclusiens
Dans un premier temps, GeEAUde va se concentrer plus spécifiquement sur 3 types d’hydrosystèmes souterrains caractéristiques du pourtour et des îles méditerranéennes. Il s’agit des aquifères karstiques, des aquifères alluvionnaires et des aquifères sédimentaires profonds. Trois types de système que l’on retrouve dans le Vaucluse.

La Fontaine de Vaucluse représente l’unique exutoire d’un hydrosystème particulièrement complexe.©DR

Les aquifères karstiques sont formés principalement au sein de roches carbonatées. Ces hydrosystèmes souterrains présentent plusieurs particularités. Ils ont une importante capacité de stockage d’eau et les écoulements souterrains sont dominés par deux tendances : une dynamique d’écoulement lente et une rapide. La Fontaine de Vaucluse est un exemple d’aquifères karstiques ne présentant qu’un unique exutoire.

L’Hydrosystème de Fontaine de Vaucluse représente un bassin d’alimentation de 1 162 km2 affichant le plus fort débit moyen interannuel de France et l’un des premiers d’Europe. ©DR

Pour leur part, les aquifères alluvionnaires sont des formations géologiques constituées de sédiments (graviers, sables, limons et argiles) qui se sont accumulés au fil du temps dans les lits de rivières et les plaines inondables comme la plaine d’Avignon ou celle de la Crau. Ces aquifères sont souvent situés à faible profondeur sous la surface du sol, et leur eau est généralement plus accessible que celle des aquifères profonds. Ils sont donc largement utilisés pour l’approvisionnement en eau potable, l’irrigation, l’industrie et la production d’énergie. Ces aquifères alluvionnaires peuvent se recharger rapidement en période de pluie et leur niveau d’eau peut varier considérablement en fonction des conditions climatiques locales.

Depuis le Rhône, il faut 49 jours pour recharger les champs captant de la Barthelasse. Il faut compter 10 000 ans pour l’aquifère sédimentaire profond du Miocène de Carpentras… ©DR

Enfin, les aquifères sédimentaires profonds, comme celui du Miocène de Carpentras, sont des formations géologiques souterraines constituées de couches de sédiments et de roches perméables situées à des profondeurs importantes, souvent plusieurs centaines de mètres sous la surface du sol (ex. aquifère du Miocène de Carpentras). L’eau contenue dans ces aquifères est généralement plus ancienne et ils sont généralement très long à se recharger. Les aquifères sédimentaires profonds représentent des systèmes très fragiles souvent utilisés pour l’approvisionnement en eau potable, l’industrie et la production d’énergie, car ils peuvent contenir des quantités importantes d’eau.

Ainsi en Vaucluse, un hydrosystème aquifère alluvionnaire comme celui d’Avignon pourra mettre 49 jours à se reconstituer, de l’eau du Rhône vers les champs captant de la Barthelasse, contre 10 000 ans pour l’aquifère sédimentaire profond du Miocène de Carpentras. Vu le temps que cela peut prendre, on voit alors mieux l’intérêt de saisir comment ces systèmes fonctionnent. Tout le travail de la chaire va donc consister à comprendre les différentes interactions entre hydrosystèmes souterrains et écosystèmes associés, les processus de remplissage, la vulnérabilité aux risques (contamination par une pollution et surexploitation notamment) ainsi que la pérennisation et l’exploitation durable.

« Il est essentiel d’agir collectivement et de manière coordonnée. »

« GeEAUde va nous permettre de mettre en place des bases de données ainsi que de développer des outils pour étudier les évolutions des ressources en eau souterraine et modéliser le comportement des aquifères », complète Konstantinos Chalikakis.
« L’intérêt est de décloisonner les informations et de renforcer notre capacité à échanger », insiste Alexandre Duzan, directeur général adjoint Sondalp-Hydroforage chez Suez qui rappelle l’urgence à agir « quand on sait que le débit du Rhône a baissé de 15% depuis les années 1970 ».
Même prise de conscience pour Eric Lahaye, directeur régional chez Veolia : « Lors de la tempête Alex en 2020, nous avons constaté des niveaux de moins 5 à moins 7 mètres sur des ressources que l’on croyait presque inépuisables. »

« Pour faire face à cette situation critique qui s’accentue en contexte Méditerranéen, il est donc essentiel d’agir collectivement et de manière coordonnée », poursuit Konstantinos Chalikakis.
Et ce d’autant plus que cet ‘or bleu’ a aussi une valeur économique importante car il est utilisé pour une grande variété d’activités, notamment l’agriculture, l’industrie, la production d’énergie et l’approvisionnement en eau potable. S’il devient plus rare, cela peut entraîner des conflits entre les différents utilisateurs de l’eau.

‘L’or bleu’ constitue un trésor quasi-invisible situé principalement sous le sol de Vaucluse. ©DR

Au final, GeEAUde ambitionne de développer et partager les outils permettant une gestion durable de ces ressources souterraines. « Une nappe, c’est une copropriété qui appartient à tout le monde, confirme Alexandre Duzan. Il y a donc un vrai enjeu de gouvernance. » C’est certainement pour cela que la Ville d’Avignon, la Région Sud ou encore la Maison régionale de l’eau ont d’ores et déjà annoncé leur volonté de rejoindre cette chaire qui représentera un investissement pour l’Université mobilisant 1,5M€ sur 5 ans.

« Des conséquences directes sur la sécurité alimentaire et la stabilité politique. »

L’urgence est là puisque le rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP) alerte depuis de 2021 sur les conséquences directes sur la sécurité alimentaire et la stabilité politique d’une mauvaise gestion voir d’un épuisement de ces ressources souterraines. Le rapport souligne également la nécessité de renforcer la gouvernance et la gestion, en s’appuyant sur des pratiques durables et équitables pour répondre aux besoins des populations locales.

« Il est actuellement reconnu que les ressources en eau souterraine en Méditerranée sont soumises à de nombreuses pressions telles que la surexploitation, la contamination et la modification des précipitations, expliquent les équipes de GeEAUde. En effet, le changement climatique engendre des modifications des régimes hydrologiques comme la répartition annuelle des pluies et de leur intensité, ou l’augmentation de l’évaporation. De manière indirecte, en contribuant à la montée du niveau marin, ces changements globaux génèrent des interactions de plus en plus fortes entre eaux douces souterraines et eaux marines. »

 
Les membres fondateurs de GeEAUde (de gauche à droite) : Georges Linarès, président d’Avignon université Konstantinos Chalikakis, porteur de la chaire, André Chanzy, directeur de recherche INRAE et directeur de l’UMR EMMAH, ainsi qu’André Fourno, ingénieur R&D de l’IFPEN.

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