8 mai 2024 |

Ecrit par le 8 mai 2024

Faut-il réglementer Internet ? Et si oui, comment ?

Le débat sur la réglementation (ou non) d’Internet et des réseaux sociaux est un sujet d’actualité brûlant et controversé. En août 2023, une enquête a été menée dans dix pays d’Europe pour connaître les opinions de la population sur la réglementation du Web dans le cadre de l’étude European Tech Insights de l’université IE. Les données recueillies auprès de plus de 3 000 adultes offrent un aperçu de l’avis des citoyens européens à ce sujet.

Les résultats de l’enquête révèlent une nette préférence dans la plupart des pays étudiés pour un Internet mondial et ouvert, mais encadré par une réglementation internationale. Les pays les plus enclins à cette approche sont l’Espagne, l’Italie et la Pologne, où plus de 70 % des répondants approuvent cette option. Par ailleurs, on trouve un pourcentage élevé de répondants favorables à l’instauration de règles nationales au Royaume-Uni, en France et en Suède.

En France en particulier, 60 % des personnes interrogées préconisent un cadre réglementaire international, tandis que 36 % préfèrent que chaque pays établisse ses propres règles. Seule une minorité de Français (4 %) estiment qu’Internet ne devrait pas être réglementé.

Tristan Gaudiaut pour Statista


Faut-il réglementer Internet ? Et si oui, comment ?

Depuis 2015, au moins 72 pays dans le monde ont bloqué ou restreint l’accès à des réseaux sociaux ou applications de communication (voix sur IP, messageries instantanées). C’est ce qui ressort d’une étude couvrant 193 pays réalisée par la société Surfshark, spécialisée dans la protection de la vie privée et la sécurité des données en ligne. Actuellement, environ 3 % des pays étudiés bloquent l’accès à des réseaux sociaux ou messageries. Tous ces pays sont situés en Asie. En Chine, Corée du Nord, Turkménistan et Iran, ce sont principalement des réseaux sociaux étrangers qui sont bloqués, comme Twitter et Facebook. Il convient de noter que la Chine possède son propre écosystème national de réseaux sociaux, avec des applications telles que WeChat et Weibo. Quant au Qatar et aux Émirats arabes unis, ils restreignent l’utilisation des appels passés via Internet (voix sur IP), ce qui concerne par exemple des applis comme Messenger, WhatsApp et Skype.

Selon les analystes, ces restrictions sont principalement le fait de gouvernements non démocratiques. Ainsi, on observe que ce sont majoritairement des pays africains et asiatiques (et quelques pays d’Amérique du Sud) qui ont le plus restreint l’accès au réseaux sociaux ces dernières années. Toutefois, dans la plupart des cas, ces restrictions sont temporaires. Parmi les cas les plus récents de blocage, on peut mentionner le Kazakhstan et le Burkina Faso, où d’importantes perturbations d’Internet ont été enregistrées début janvier lors des « manifestations contre la hausse des prix de l’énergie » pour le premier cité, et pendant des « arrestations liées à un prétendu coup d’État » pour le second.

De Tristan Gaudiaut pour Statista


Faut-il réglementer Internet ? Et si oui, comment ?

A l’occasion de cette rentrée, Olivier Baglio du cabinet d’avocat avignonnais Axio constate que la Cour de Cassation reconnait désormais comme un ‘droit absolu’ la liberté d’expression de tous les salariés.

Directeur d’une association catholique hospitalière pour adultes handicapés le jour et artiste photographe le reste du temps, un salarié souhaita faire partager sa passion de la photographie au plus grand nombre en publiant sur son compte Facebook une photo de sa propre personne en la présentant nue, agenouillée sur un prie-dieu dans une église.

Alertée par d’autres salariés, des résidents et des membres de leur famille, l’association ne fut que très modérément sensible au charme de la photographie ainsi publiée et engagea à l’encontre de son directeur une procédure de licenciement pour faute grave, que celui-ci s’empressa de contester devant le Conseil de Prud’hommes pour les motifs suivants :

– Il s’agirait de sa liberté d’expression incluant la liberté artistique, le cliché étant en outre dépourvu de caractère obscène,
– Cette photographie avait été prise hors du lieu et du temps de travail et relevait de sa vie personnelle.

La Cour d’Appel a rejeté ces arguments en considérant qu’une telle publication caractérisait un abus du droit à la liberté d’expression puisque :

– La large diffusion de la photographie par le salarié sur le réseau social Facebook, qui plus est sur la page d’accueil, la rendait accessible à tout public, à savoir ses subordonnés, aux résidents et à leur famille.
– Le caractère inapproprié et excessif de la photographie le montrant dénudé pouvait causer un tort à l’employeur.

Par un arrêt rendu le 23 juin 2021 (n°19-21.651), la Cour de cassation a censuré la Cour d’Appel en rappelant que le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci d’une liberté d’expression totale à laquelle, seules les restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, peuvent être apportées.

Or la photographie litigieuse étant dépourvue de caractère injurieux diffamatoire ou excessif et ne faisant aucun lien entre le salarié et son emploi, elle ne pouvait caractériser un abus dans la liberté d’expression du salarié, véritable liberté fondamentale garantie par la Cour…
Quid du trouble objectif causé dans l’entreprise vis-à-vis du personnel placé sous ses ordres, des rapports avec les familles des résidents, des résidents eux-mêmes, et enfin du caractère propre de l’établissement religieux ?
Autant de difficultés abandonnées et renvoyées à l’employeur, car, pour la Cour de cassation, il fallait manifestement et à tout prix préserver la création artistique du salarié au nom de ‘sa’ liberté d’expression. Il n’est pas sûr qu’il faille s’en réjouir.

Par Olivier Baglio

https://www.echodumardi.com/tag/liberte-expression/   1/1