14 mai 2024 |

Ecrit par le 14 mai 2024

Scala Provence, Romane Bohringer bouleversante dans ‘Respire’

Respire ! La bouleversante injonction de Romane Bohringer à la Scala Provence cette semaine. Un long monologue écrit d’une traite par Sophie Maurer, mis en scène par Panchika Velez et interprété par Romane Bohringer

Une nuit durant, dans un couloir de maternité, une mère attend. Elle espère, désespère, espère de nouveau que son enfant née quelques heures auparavant parviendra à respirer seule. Derrière la vitre qui les sépare, la mère parle à sa fille, pour tenter comme elle peut de l’attirer vers le monde des vivants. Une nuit durant, dans ce couloir, une mère attend et vacille entre la rage et la supplique, en animal doutant de ses forces.

Après «  L’occupation » d’Annie Ernaux  joué à guichet fermé au Théâtre des Halles au Off 2022, Romane Bohringer revient en Avignon pour nous donner une interprétation sensible de ce texte qui va bien au delà du thème annoncé

Romane Bohringer est une actrice, réalisatrice, scénariste, metteuse en  scène que l’on aime . Elle nous touche en choisissant d’aborder des thèmes sensibles : années sida avec les Nuits fauves en 1992,  la jalousie dans un seul en scène « L’occupation », l’amitié sur fond de Shoah dans une Mina Tannenbaum bouleversante (1994), la séparation en tant que réalisatrice de son premier film  «  l’amour flou en 2018. Touchante elle l’est par son physique et sa voix douce et la force qui se dégage d’une empathie naturelle.

Envie d’en savoir plus sur cette artiste prolixe mais néanmoins exigeante lors d’un entretien téléphonique avant sa venue en Avignon.

Que nous diriez vous pour parler de Respire ? 
Je dirai que le texte de Sophie Maurer est absolument bouleversant, consolateur dans un certain sens. Il emporte les spectateurs dans une émotion profonde et nécessaire. Au delà de l’histoire qui peut paraître effrayante (une jeune mère attend dans le couloir d’un hôpital, son bébé est entre la vie et la mort), c’est moins un texte de situation qu’un texte de mots, un chant intérieur, un chant de désarroi.

Comment avez vous abordé ce texte ?
Je n’ai pas abordé le texte comme un texte de personnage. Ce n’est pas l’histoire d’une mère dans un hôpital qui m’a donné envie de dire ce texte. Je ne l’ai d’ailleurs pas abordé comme un personnage mais comme une parole, comme un chant, comme un partage avec le public d’une parole qui m’a bouleversée. Ce texte dit le désarroi de notre époque, l’incertitude dans laquelle on est plongé. Il dit notre grande vulnérabilité mais il dit aussi la nécessité de vivre, de croire, d’espérer et de trouver un chemin de consolation et de lumière dans cette violence qui est celle de notre monde contemporain. Il y a des textes que j’ai envie de dire comme comédienne et il y a des textes que j’ai envie de dire comme citoyenne.

Etes-vous une artiste engagée ?
Non, parce que l’engagement est quotidien, sur le terrain. Non je suis juste quelqu’un qui, par de mon métier, peut transmettre des mots. J’essaie de les choisir  pour qu’il aient un sens avec le monde qui nous entoure. Ce n’est pas de l ‘engagement, c’est une sensibilité au monde qui m’entoure et j’ai la chance de faire un métier qui met en lumière des textes, des parcours, des gens. Mon engagement est plutôt moral. Quand on monte sur scène on doit dire aussi quelque chose du monde qui est le nôtre. Quand j’ai découvert le texte de Sophie Maurer, j’ai eu envie de dire ce texte pour mes enfants. C’est plus la femme et citoyenne qui est en moi qui a reconnu ce texte et je me suis dit « ce texte là je dois le dire maintenant »

Pourquoi ce texte vous a t-il tant bouleversée ?
La langue de Sophie Maurer est bouleversante et elle m’a puissamment bouleversée. Je me demandais d’où venait ce sentiment de gémellité avec le texte. Quand  j’ai rencontré Sophie, elle m’ a dit qu’elle avait écrit ce texte le lendemain des attentats de Charlie Hebdo, dans un souffle, ça lui est sorti en quelques nuits. J’ai alors compris d’où elle avait écrit ce texte, de quel désarroi profond il est issu, en quelques nuits il est  sorti comme un cri et j’ai compris ce que j’avais reconnu de moi dans ce texte , une sensation de telle violence faite au monde , et en même temps ce désir de se dire quand on est mère qu’il faut bien raconter ce monde à nos enfants et dire pourquoi il faut continuer à vivre, trouver dans les replis, les recoins une force pour avancer,

La mise en scène s’est alors imposée ?
En accord avec la metteuse en scène Panchika Velez, je joue le plus sobrement possible. Je suis seule sur scène avec un musicien Bruno Ralle qui est là pour faire danser les mots, accompagner cette parole intérieure. L’hôpital n’est pas représenté, la douleur non plus. Je joue ce texte comme un chant, où les  mots surgissent pour encourager cet enfant à vivre, pour l’emmener vers notre monde même si ce monde semble si fracturé. Cette rage intérieure pour trouver les mots ne s’adresse pas qu’à l’enfant. Les mots s’adressent à tous : sœur, mère, parents, amis… Comment donner un sens à ce monde qui paraît le perdre, comment trouver l’humanité dans les replis, dans les recoins ? Ce spectacle pourrait être vu dès l’âge de 10/12 ans je pense.

Des projets, des perspectives ?
C’était un concours de circonstance que d’enchaîner « L’ occupation » d’Annie Ernaux et  « Respire » de Sophie Maurer. C ‘est l amour pour le texte qui m’a poussé à faire ça 2 fois de suite mais ce n’est pas la forme théâtrale qui m’excite le plus. La charge du texte m’incombe. L’intime et la solitude me pèsent (même si je ne suis pas seule sur scène). J’aspire à renouer avec des projets plus collectifs, pour moi le théâtre c’est aussi la troupe.

A la rentrée je joue dans une version chantée, jouée et dansée du Bel Indifférent de Cocteau au théâtre de l’Atelier à Paris à la rentrée. Je vais également mettre en scène mon père, Richard Bohringer dans une adaptation de son dernier roman et bientôt j’espère réaliser un deuxième film.

Mercredi 12. 19h30. Jeudi 13 avril. 19h30. 12 à 30€. La Scala Provence. 3 rue Pourquery de Boisserin. Avignon. 04 90 65 00 90. lascala-provence.fr


Scala Provence, Romane Bohringer bouleversante dans ‘Respire’

Une adaptation réussie du court récit d’Annie Ernaux « L’Occupation»

Quand on referme le livre d’Annie Ernaux on se dit que tout est dit, qu’il n’y a rien à ajouter. L’écriture limpide, incisive d’Ernaux nous laisse sans voix tellement elle est juste. C’était sans compter l’envie de Pierre Pradinas de s’en emparer pour la rendre publique et audible et de choisir Romane Bohringer pour interpréter cette femme qui dissèque le sentiment de la jalousie.

Une femme se sépare de l’homme qui partageait sa vie depuis 5 ans mais quand il s’éprend d’une autre elle entre « dans une passion jalouse qui occupe ses jours et envahit ses nuits»

Une actrice lumineuse dans une formidable prestation
On aime Romane dans ses différents rôles toujours exigeants au cinéma ou au théâtre, souvent consacrés par des nominations aux César ou Molière. On lui connaissait moins peut-être son ressort comique. Ici elle excelle dans l’humour, l’espièglerie la manière de se mouvoir sur scène, de moduler sa voix avec parfois juste ce qu il faut de trémolos pour nous rappeler que oui la jalousie ça fait mal ! Elle capte étonnamment la lumière et rend cette histoire crédible et surtout sublime.

Un partenaire musical essentiel sur la scène
La mise en scène de Pierre Pradinas est simple mais il s’est entouré d’ d’amis et collaborateurs de longue date : Christophe « Disco Minck» pour le son et Orazio Trotta pour la lumière. Il suffit alors de quelques frôlements d’harpe ou de scratch sur les platines pour souligner les différentes émotions par lesquelles passe la narratrice. Les poursuites de lumière et la vidéo à bon escient achèvent de construire un récit digne d’une enquête policière.

L’Occupation. Jusqu’au 30 juillet. Relâche les 13, 20 et 27 juillet. 14h. Théâtre des Halles. Rue du Roi René. 04 32 76 24 51. www.theatredeshalles.com

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