5 mai 2024 |

Ecrit par le 5 mai 2024

Le temps (de travail) se gâte pour l’employeur

Par une série d’arrêts intervenus en ce dernier trimestre 2022, la frontière n’est plus aussi claire entre ce qui relève du temps de travail effectif. Olivier Baglio du cabinet d’avocat avignonnais Axio propose d’y voir plus clair et conseille d’auditer et modifier vos pratiques le plus rapidement possible afin d’éviter toutes mauvaises surprises.

Tenant à une évolution du Droit communautaire en matière de droit au repos garanti à tout salarié (CJUE 9 mars 2021), la Cour de cassation s’est attachée à transposer dans sa jurisprudence relative à la durée du travail de nouvelles contraintes pour les entreprises.

Auparavant le temps de travail effectif était facilement identifiable depuis sa définition légale :
« Article L3121-1 du code du travail : La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. »

Les temps accessoires de restauration, d’habillage, d’astreintes ou de déplacements étaient exclus de cette définition et pouvaient simplement donner lieu à des compensations financières particulières ou en temps de repos librement négociés.

« Auditez et modifiez vos pratiques le plus rapidement possible ! »

Olivier Baglio

Par une série d’arrêts intervenus en ce dernier trimestre 2022, la frontière n’est plus aussi claire entre ce qui relève du temps de travail effectif (sur la base duquel se calcule les heures supplémentaires, les limites maximales de la durée du travail, le repos compensateur éventuel, la garantie du repos journalier de 11h imposés par les textes) et le temps de travail périphérique et non effectif.

Tout d’abord un arrêt du 26 octobre 2022 (Cassation sociale n°21-14.178) a considéré que le temps d’astreinte d’un salarié à son domicile constituait un temps de travail effectif lorsque les contraintes de cette astreinte étaient telles qu’elles avaient affecté sa capacité à vaquer à des occupations personnelles à son domicile.

Puis un arrêt du 23 novembre 2022 (Cassation sociale n°23-11-2022) vient de qualifier de temps de travail effectif le temps de trajet domicile -premier et dernier client d’un salarié itinérant au motif qu’il téléphonait à ses clients durant ledit trajet.

Dans les deux cas, la frontière devient poreuse, les juges s’attachant à l’examen des conditions matérielles d’exécution du contrat plutôt qu’à une approche purement textuelle et catégorielle.
On pourra une nouvelle fois regretter une méthode qui fragilise rétroactivement et sur 3 ans (prescription) les pratiques en vigueur au sein d’entreprises qui considéraient respecter les normes en vigueur jusqu’à présent et qui se trouvent désormais exposées judiciairement à des demandes d’heures supplémentaires, de travail dissimulé adossés à une demande de résiliation judicaire du contrat de travail aux torts de l’employeur.

Une loi qui elle ne dispose que pour l’avenir aurait été plus opportune pour transposer dans le droit Français des contraintes communautaires ayant des incidences financières aussi considérables pour les entreprises.

Par Olivier Baglio


Le temps (de travail) se gâte pour l’employeur

Denis Alliaume, avocat au sein du cabinet d’avocat avignonnais Axio, revient sur la complexité des ‘forfaits jours’ largement utilisés pour la durée de travail des cadres.

Le régime les forfaits jours a été mis en place par les lois Aubry de l’an 2000. Ce régime unique en Europe est largement utilisé pour la durée du travail de nombreux cadres français. Derrière l’apparente facilité du système, se cache une complexité juridique.
La mise en place d’un forfait jours est subordonnée à la conclusion :

– d’une convention ou d’un accord collectif de branche ou d’entreprise
– d’une convention individuelle contractuelle avec chaque salarié concerné

Nombreux accords de branches invalidés
Une jurisprudence abondante de la Cour de cassation est venue analyser la validité des accords collectifs instituant la convention de forfait. Ainsi de nombreux accords de branches ont été invalidés par la Cour de cassation. Celle-ci estimant que ces accords collectifs n’assuraient pas la protection de la sécurité et la santé des salariés. Un nouvel épisode de cette saga judiciaire est un arrêt du 13 octobre 2021 (Cass Soc 13/10/21n°19-20.561), dans lequel la Cour de cassation est venue apprécier les dispositions de convention collective nationale du Crédit agricole.

Si cet accord de branche prévoyait bien :
– le nombre de jours fixe travaillés dans l’année pour un droit complet à congés payés- le contrôle des jours travaillés et des jours de repos dans le cadre d’un bilan annuel
– un suivi hebdomadaire afin de vérifier le respect des règles légales et conventionnelles en matière de temps de travail, notamment les 11h de repos quotidien.

Néanmoins, il n’instituait pas de suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable de travail. La Cour en conclut que cet accord n’est pas de nature à garantir « que l’amplitude et la charge de travail reste raisonnable et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, ce dont il se déduisait que la convention de forfait en jours était nulle » Cette décision rappelle la particulière vigilance requise lors de la rédaction d’accords collectifs organisant le temps de travail en forfaits jours.

Garanties insuffisantes par les tribunaux ?
Une analyse de l’accord de branche est donc nécessaire et si les conditions fixées sont insuffisantes, il conviendra d’envisager la signature d’un accord d’entreprise pour y pallier. Le Législateur a été sensibilisé par le caractère fragile du dispositif s’appuyant sur un accord de branche dont les garanties conventionnelles pourraient être considérées insuffisantes par les tribunaux.
La loi ‘Travail’ du 8 août 2016 a justement aménagé un dispositif ‘béquille’ permettant à l’employeur, dont l’accord collectif est insuffisant en matière de suivi de la charge de travail, de compenser ces carences, lui permettant de sécuriser lui-même le régime sans être tributaire des partenaires sociaux de la branche.

Il faut dans ce cadre :
– établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées ;
– s’assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
– organiser, au moins une fois par an, un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, ainsi que sa rémunération.

Exigence du respect des obligations
Il conviendra bien évidemment ensuite de respecter l’ensemble de ces engagements. Les faits ayant donné lieu à l’arrêt du 13 octobre 2021, opposant un Cadre au Crédit agricole, étant intervenus avant la Loi ‘Travail’ d’août 2016, l’employeur n’a pu bénéficier du dispositif ‘béquille’ permettant de sécuriser l’accord de branche incomplet. Ce nouvel épisode de la saga des forfaits jours rappelle l’exigence du respect des obligations dans la mise en œuvre du dispositif.

Denis Alliaume

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