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Le vin en pente

Mur de vignes à Aigle en Suisse.

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Retrouvez la chronique vin d’André Deyrieux, pionnier de l’œnotourisme et consultant en patrimoines de la vigne et du vin, réalisée pour le compte de Réso hebdo écho dont l’Echo du mardi est un des membres fondateurs.

Quand un vignoble s’installe sous nos latitudes, il choisit souvent la bonne pente. Inclinaison par rapport aux rayons solaires, orientation est-sud-est qui offre les coteaux au soleil levant, ventilation et températures fraîches, variété des affleurements géologiques, drainage… la pente offre tout le confort possible à la vigne. Historiquement, les plaines étaient laissées aux cultures vivrières et aux céréales ; « Bacchus aime les collines », écrivait Virgile. On se dit que ce n’est pas un hasard si en Bourgogne le mot « climat » – qui de par son étymologie grecque veut dire « pente » – s’est imposé.
Parfois le vignoble n’a pas le choix (et le vigneron non plus) de la pente. Celle-ci est alors abrupte : 60 % pour Marestel ; 45 % pour Château-Chalon ou pour le cru Rangen à Thann ; 65 % en Moselle. Rappelons qu’une pente à 30 % signifie qu’en avançant de cent mètres (à l’horizontale) on monte de 30 mètres en dénivelé. La pente moyenne d’un escalier est de 60 à 70 % (soit un angle de 30-35°).
Pour le CERVIM, organisme international créé en 1987 pour aider les exploitants de ces zones difficiles et valoriser leurs vignobles, la forte pente commence à 30 %.

Sur la bonne pente
S’il paraît normal de rencontrer des vignes en forte pente dans les régions de montagne, comme en Savoie, à Chignin et à Ayze, ou en Suisse (plus de la moitié du vignoble suisse a des pentes supérieures à 30 %) ce n’est pas toujours le cas. De nombreux vignobles abrupts, héroïques, se trouvent à des altitudes habituelles pour un vignoble, soit autour de 450 mètres ; c’est le cas de parcelles en appellations chiroubles, côtes d’auvergne, banyuls ou collioure, dans le Diois ou au pied du Ventoux.
Les pentes demandent bien sûr un travail conséquent. Bien souvent d’abord, les vignes ne sont pas simplement plantées en courbes de niveaux ; il faut des murets pour déterminer des terrasses (des banquettes, des gradins, des chaillées, des faÿsses), des enherbements pour retenir la terre et éviter de la remonter à chaque saison comme le faisaient nos ancêtres. Ensuite, le travail de culture est plus difficile, parfois dangereux. La mécanisation, en raison de l’escarpement, de l’accès et de la taille des parcelles, est impossible. Il faut parfois s’aider d’un équipement d’escalade, voire d’un treuil. Certains vignobles, comme à Martigny (Valais), utilisent des hélicoptères pour collecter la vendange.
Vignerons et experts constatent un surcroît de travail et un surcoût importants ; les difficultés font parfois bondir jusqu’à 2 000 heures le volume de travail annuel à l’hectare, pour une ou deux centaines dans des conditions plus habituelles.

Du pur extrême
Si la superficie de ces vignobles ne représente pour l’Europe que 3 ou 4 % des surfaces viticoles, ils représentent tout de même l’emploi de 500 000 personnes. Leur abandon serait dramatique. Il est donc essentiel de faire admettre par les consommateurs que les vignerons méritent une juste rémunération. Ceci va de soi pour certaines appellations aujourd’hui fameuses : condrieu, côte-rôtie, cornas. Par ailleurs, ces vignobles sont beaux et à leur qualité esthétique s’ajoute la protection de l’environnement à laquelle contribue leur entretien. Le fait que certains vignobles soient inscrits au Patrimoine mondial de l’UNESCO comme les Cinque Terre (Italie), Lavaux (Suisse) et le Douro (Portugal) apporte une plus-value visible. Le développement de l’œnotourisme permet la connaissance de ces paysages et il existe encore des destinations trop ignorées comme par exemple le vignoble de Ribeira Sacra en Galice.
Des initiatives se créent. Classiques comme la création de labels ou l’organisation de concours et de salons des vins de montagne et de forte pente : l’environnement préservé, la particularité des cépages produisent des qualités organoleptiques particulières. Plus originales comme l’élaboration de vins de glace ou le vieillissement des vins à des altitudes extrêmes, opérations largement médiatisées.
L’effort de ces vignobles doit porter aussi sur la révélation de leur histoire au caractère bien trempé, faite, au fil des générations, d’audace et de courage. Le storytelling vient ainsi à l’aide d’un marketing de bon aloi. La pente est un réservoir d’imaginaire pour une clientèle de plus en plus amatrice d’exigence et de pureté ; c’est ce que ne manquera pas de souligner le prochain Congrès international de la viticulture de montagne et de pente qui aura lieu du 12 au 14 mai 2022 à Vila Real dans la haute vallée du Douro, au Portugal.

André Deyrieux pour Réso hebdo écho

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