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(Vidéo) Musée Angladon, le Douanier Rousseau et Alfred Lesbros mis à l’honneur

Copyright Douanier Rousseau

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Du 27 septembre au 31 décembre 2023 le Musée Angladon met à l’honneur le Douanier Rousseau (1844-1910) avec deux de ses tableaux, L’Enfant à la poupée (huile sur toile, 67 x 52, vers 1892), conservé au Musée de l’Orangerie, ainsi que La Basse-cour (huile sur toile, 24,6 x 32,9, [1896-1898]), conservée au Musée national d’art moderne-Centre Pompidou.

Ces deux tableaux font l’objet de prêts exceptionnels,
en échange de La Blouse rose d’Amedeo Modigliani, présentée au Musée de l’Orangerie dans l’exposition Amedeo Modigliani. Un peintre et son marchand, et de trois dessins de Picasso prêtés au Centre Pompidou pour l’exposition Picasso. Dessiner à l’infini. Cet accrochage donne l’occasion d’un hommage au peintre dit naïf, admiré par les avant-gardes du XXème siècle.

Henri Rousseau trouve très logiquement place au sein du Musée
qui doit l’essentiel de sa collection à Jacques Doucet (1853-1929). En effet, le couturier-collectionneur fut un admirateur de l’artiste. Il fit l’acquisition de La charmeuse de serpent auprès de Robert Delaunay. Ce dernier le lui céda à la seule condition que Doucet le léguât au Louvre. C’est ainsi que La Charmeuse, l’un des plus grands tableaux de Rousseau, et aussi l’un des plus célèbres, entra dans les collections nationales en 1936. Les toiles de Rousseau s’inscrivent ici, dans la salle du Musée consacrée à l’Ecole de Paris, en dialogue avec les précurseurs de la modernité avec qui il entretint des liens féconds. En particulier Picasso, qui organisa en 1908,  dans son atelier du Bateau-Lavoir, un banquet en l’honneur de ce «demi-raté et conscient de l’être», mais aussi Delaunay, qui fut son ami proche, et Apollinaire, qui rédigea son éloge funèbre.

Le Douanier Rousseau (dit), Henri Rousseau (1844-1910).
Paris, musée de l’Orangerie. RF1963-29.’Enfant à la poupée. [Vers 1892].
Huile sur toile. 67 x 52. © RMN-Grand Palais (Musée de l’Orangerie) / DR

Dans cette mouvance, le Douanier occupe une place singulière.
Employé de l’octroi, ce qui lui vaut son surnom, il entre tardivement en peinture, à l’âge de vingt-huit ans, pressé d’exprimer la fraîcheur de sa vision, soucieux de ne pas tomber dans la réaction aux conventions de l’art occidental, travers qui caractérise bien des courants de la modernité en peinture. Ouvrant des fenêtres dans le prosaïsme pesant de l’époque, Rousseau croit aux vertus de la science et du progrès, et trouve seul son chemin en peinture. L’honnêteté de cette position qu’il s’acharne à tenir dans son art comme dans sa vie, la naïveté qu’il chérit, la candeur qu’il exprime renforcent l’autorité de son œuvre et lui donnent le statut d’exemple pour toute une génération d’artistes d’avant-garde. Selon Apollinaire, qui contribue à bâtir son mythe, Rousseau peint sa propre réalité, dans des toiles minutieuses à la poésie déconcertante, où le proche semble lointain, l’étrangeté familière, le moderne ancien et l’ancien nouveau.

Les toutes premières critiques sont dures à son égard.
Georges Courteline acquiert pour un franc son Portrait de Pierre Loti qu’il considère comme « le clou et le pivot du musée des horreurs ». En 1905, le Salon d’automne présente, aux côtés de tableaux d’Henri Matisse, André Derain et Raoul Dufy, Le lion, ayant faim, se jette sur l’antilope, à l’origine sans doute du mot railleur de Louis Vauxcelles faisant de la salle où il est présenté, une « cage aux fauves ». La force primitive de ses toiles et le traitement clinique de cette imagerie interpelle pourtant la communauté artistique. Fascinés par la figuration primitive et exotique de Rousseau, notamment dans ses Jungles luxuriantes, Picasso et Delaunay, comme Gauguin, voient dans son œuvre la mise en image d’un retour bénéfique aux origines, porté par un inconscient libéré, tendu vers une simplification des formes, montrant la possibilité d’une expression nouvelle, guidant ainsi les mouvements à venir, fauve, cubiste, surréaliste.

La Basse-cour (huile sur toile, 24,6 x 32,9, [1896-1898]), conservée au Musée national d’art moderne-Centre Pompidou

Il sera également question d’Alfred Lesbros avec sa place des Corps Saints à Avignon, tirée de la réserve du musée Angladon.

Alfred Lesbros (Avignon 1873 – Avignon 1940) est un maître provençal ayant appartenu au Groupe des Treize qui rassembla, entre 1912 et 1913, des peintres et sculpteurs avignonnais dont Clément Brun, Claude Firmin, Jean-Pierre Gras. Proche de Jules Flour et Pierre Grivolas, il est influencé par les grandes tendances artistiques qui traversent le début du XXème siècle, de l’impressionnisme au cubisme. Par ses audaces formelles et chromatiques, il occupe une place à part dans l’école avignonnaise.

Avignon, source d’inspiration
Alfred Lesbros est né à Montfavet en 1873 dans une famille de propriétaires terriens installés dans le Vaucluse depuis plusieurs générations. Il habite au centre de Montfavet toute sa jeunesse, non loin d’une petite rue portant maintenant son nom. Il se fixe à Avignon en 1897. Il fréquente l’Ecole des beaux-arts sous la direction de Pierre Grivolas et se familiarise avec ses principes de lumière pointilliste, avec des surfaces et touches de couleur séparées, cernées de foncé bleu ou noir. Il est influencé par Puvis de Chavannes, ses fresques du Panthéon et l’Art nouveau qui triomphe en 1900. Gauguin, Toulouse-Lautrec, Maurice Denis l’inspirent ; il aime leur liberté, leur simplicité.

Durant la période 1900-1914, à côté de son travail de commerçant à Avignon,
il peint le dimanche, surtout à Villeneuve les Avignon. Il se lie d’amitié avec les peintres Joseph Hurard, Joseph Meissonier, Jules Flour, Léon Colombier. A partir de 1908, il expose au Salon des indépendants à Paris, et dès 1915 sa situation lui permet de s’installer dans un vaste atelier et de se consacrer totalement à son art. Il se lance dans des recherches picturales à base de pochoirs, qu’il expose en 1922 au Salon d’Automne et au Salon des indépendants à Paris, où il sera présent jusqu’en 1928.

De 1934 à 1936, c’est pour lui la grande période de la joie et de la couleur, des rues d’Avignon, des fêtes.
Dans ces années-là, il se rapproche du fauvisme, admire Matisse et Marquet. Il hante plus souvent la ville, travaille autour du palais des papes et de la métropole, à des motifs plus familiers. Il vit rue Baracane et découvre la beauté de son quartier : la place des Corps Saints, l’été, est un asile de fraîcheur. Des couleurs vives bien que dans l’ombre, des indications amusantes reproduites avec une feinte naïveté, la luxuriance de couleurs posées en larges touches, d’une manière un peu impressionniste construisent son credo artistique des « belles formes, belles valeurs, belles couleurs ». Il demeure toute sa vie sensible aux choses de la rue comme peintre de la « réalité poétique ». Il laisse un millier de toiles. En 1981, 41 ans après sa mort, une rétrospective lui est consacrée au Palais des Papes.

Le groupe des Treize
Alfred Lesbros est de ceux qui créent à Avignon le groupe des Treize. Auguste Chabaud, Gontier, Maureau, Jean-Pierre Gras, le graveur Germain, l’estiment. La jeune génération, où se côtoient Paulette Martin et Jean Angladon, les fondateurs du Musée, mais aussi des artistes comme Tramier, Devèze, Chartier, Labastie, l’admire et vient lui demander conseil. Artistes et intellectuels se retrouvent alors tous les soirs dans le décor 1900 de la « Rich’Tavern », aujourd’hui disparue, où les rejoignent les Parisiens de renom de passage dans le midi.

Dans ce contexte d’effervescence intellectuelle et artistique,
le groupe des Treize se constitue en réaction au « diktat » de la Société vauclusienne des amis des arts. En effet, cette institution décide d’organiser en juin 1912 une exposition réservée « exclusivement aux paysagistes vauclusiens », excluant de ce fait les graveurs, sculpteurs, architectes, ainsi que les artistes non vauclusiens. Le groupe des Treize, a contrario, tient à privilégier l’ouverture aux différentes techniques, et à ne pas limiter ses horizons géographiques aux frontières du département. Il organise sa première exposition en décembre 1912. Un succès, réitéré l’année suivante. Mais en 1914, plusieurs de ses membres dont Lesbros sont mobilisés, la guerre coupe court à l’enthousiasme et aux projets. Le groupe des Treize a vécu.

Les infos pratiques
Musée Angladon – Collection Jacques Doucet. 5, rue du Laboureur à Avignon. 04 90 82 29 03. Du mardi au dimanche, de 13h à 18h. Dernière admission à 17h15 www.angladon.com
Mireille Hurlin

Les Corps Saints à Avignon Copyright Musée Angladon

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