En 10 ans, le nombre de manifestations qui leur a été consacré a été multiplié par 8 dans le département. Cette économie culturelle florissante connaît une explosion d’événements. Des associations aux agences événementielles, en passant par les mairies et les entreprises individuelles, la cartographie vauclusienne reflète une diversité d’organisation propre au milieu des actions ‘geeks’ et ‘otakus’.
La seconde édition de la Morières Pop Culture se déroule ces 7 et 8 juin à Morières-lès-Avignon. L’occasion de regarder de plus près ce secteur culturel qui, grâce à son système économique et son public, contribue au dynamisme du département. Par le terme générique ‘geek’, nous englobons dans ce dossier toute manifestation présentant l’univers de la science-fiction, du fantastique et de la fantasy, avec toute la création qui s’y rapporte. En somme les jeux-vidéos, les jeux de société, les livres (comics, mangas, webtoon, BD, romans…) mais aussi la production audiovisuelle (cinéma, séries, animes, créateurs de contenus…) et la customisation (cosplay, accessoires, décoration…) entre autres. Ces animations geeks ont la particularité de toucher aussi bien un public averti (des otakus et des amateurs) que familial et adolescent.
2 événements en 2015, 16 cette année
Après analyse de toute une décennie culturelle en Vaucluse, il est certain que la tendance geek et otaku (terme japonais pour désigner les grands passionnés de mangas, d’anime, de jeux-vidéo…) n’a pas fini de se développer sur le territoire. Rien que pour cette année en Vaucluse, ce ne sont déjà pas moins d’une quinzaine d’événements de ce type qui ont eu ou vont avoir lieu. Pourtant en 2015, seuls se présentaient La contrée des jeux à Avignon et le Salon du flipper et du jeu de café de Sorgues (nouvel organisateur en 2018), avec respectivement une 6e et une 10e édition. Après la naissance de la petite sœur de la Japan Expo parisienne à Marseille en 2009, il a fallu attendre 2016 côté Vaucluse pour voir les premiers Salons de ce type. Ainsi ont surgi le Geek Universe de Carpentras (convention plurielle mêlant mangas, anime, cosplay, série, jeux, heroïc fantasy…) et le Loriol Game Show (consacré aux jeux-vidéos) qui a réalisé 2 éditions la même année, accumulant 1 200 visiteurs.
Une accélération à partir de 2017
2017 est l’année des initiatives. Elle marque le lancement de 4 manifestations, sans compter la 12e édition de l’événement ‘jeu de café’ (datant de 2005) devenu Salon du flipper et du jeu vidéo à l’occasion du changement d’organisateur, Flipsud ayant confié les rênes à l’association RPJ Game Concept.
Geek Universe, qui a été la première convention d’importance dans le département, a vu le jour à Carpentras en 2016 et avait attiré 4 500 visiteurs. Dans son sillage, les Salons des deux autres principales villes, Avignon Geek Expo (8 000 visites) et Convention Science-Fiction d’Orange ont suivi en 2017 (5 500 visites), mais pas avec le même type d’organisation. La première était d’abord créée par deux associations provençales avant d’être gérée par une entreprise d’événementiel depuis 2018, tandis que la seconde est uniquement associative avec une entité née en 2016. Toutes deux marquent cependant durablement le paysage vauclusien en étant les plus dynamiques.


Attachement au territoire
Malgré son annulation en 2023 et dans l’attente d’un nouvel espace à la hauteur de ses besoins, le Geek Universe, organisé par l’association Geek Evolution, reste l’événement de la capitale de la fraise. Très attachée au territoire et loyale envers le soutien reçu par les élus, Geek Evolution n’envisage pas de déménager pour donner suite à ses 5 éditions effectives.
« On a toujours été assez investis dans la vie de Carpentras. Parce que déjà, on était bien traité par la ville quand on faisait des événements et puis nous sommes tous de Carpentras ou travaillant sur Carpentras » assure François, l’un des organisateurs. « Par exemple avec le parc des Expos d’Avignon, c’est un énorme énormément investissement avant de faire des bénéfices pour la suite. À ce niveau, on n’est plus sur les mêmes capacités que les nôtres, malgré notre besoin de grande salle, c’est hors de portée financièrement pour nous » ajoute, pragmatique, le bénévole passionné.
En 10 ans, le Vaucluse a été ainsi le théâtre de plus d’une centaine de manifestations culturelles autour de la culture geek et otaku, portées par une vingtaine d’organisateurs. La plupart des organisations sont composées de plusieurs entités, notamment une association principale avec d’autres associations, collectivités ou entreprises. Plus précisément, ce sont 24structures individuelles ou regroupées pour 123 éditions, dont 13 ont été annulées en grande partie à cause de la crise sanitaire. Parfois, une même manifestation a lieu deux fois par an, c’est le cas de la Bourse Geek de Sorgues organisée par l’association Phénix, mais aussi des Puces du Geek à Robion ou bien de l’ancienne manifestation Loriol Game Show qui a enchaîné 2 éditions en 2016.

Évolution des événements en chiffres
2025 : 16 événements, dont 12 gratuits et 3 à ≤ 6 €
2024 : 14 dont 11 gratuits et 2 à ≤ 6 €
2023 : 16 dont 10 gratuits et 3 à ≤ 6 € (mais 1 annulé à cause de l’incendie du lieu d’accueil)
2022 : 15 dont 9 gratuits et 3 à ≤ 6 €
2021 : 14 dont 10 gratuits et 1 à ≤ 6 € (mais 5 annulés ou abandonnés cause Covid)
2020 : 12 dont 7 gratuits et 3 à ≤ 6 € (mais 8 annulés ou abandonnés cause Covid)
2019 : 11 dont 6 gratuits et 3 à ≤ 6 €
2018 : 11 dont 6 gratuits et 3 à ≤ 6 €
2017 : 8 dont 4 gratuits et 2 à ≤ 6 €
2016 : 5 dont 3 gratuits et 1 à ≤ 6 €
2015 : 2 dont 1 gratuit et 1 à ≤ 6 €
10 000€ pour une manifestation de 2 000 visiteurs
« On entre dans ce monde-là », résume Patrick, bénévole multitâche de l’association sorguaise Phénix. Ce soixantenaire fan de Star Wars et de super-héros œuvre depuis 15 ans dans l’événementiel. Délaissant les motos pour monter son premier Salon intitulé Comic Games à Sorgues en 2017, il est également derrière plusieurs organisations vauclusiennes. Comic Games, Monteux Geek and Game, Japan Maniacs, Bourse geek de Sorgues… et bientôt la première édition du Salon du jeu vidéo et de l’arcade les 18 et 19 octobre à Sorgues, sans compter un Salon des cartes à jouer et à collectionner prévu en 2026.
« Après le Covid, je n’ai plus voulu faire de convention, confie l’organisateur, car c’était très compliqué, cela demandait beaucoup d’énergie : il fallait des invités, des marchands, des stars, des youtubeurs. » Toutefois, il a contribué à la renaissance cette année de la convention de Monteux, en s’appuyant sur les envies du Conseil Municipal des Jeunes qui ont voulu relancer cet événement abandonné depuis 2020.
« Depuis octobre 2024, 15 adolescents de 11 à 17 ans, aidés par l’association Phénix, accompagnés par une élue active et moi-même, ont permis de mettre en place un projet intergénérationnel et innovant organisé par la ville » explique Stéphanie Ortega, coordinatrice jeunesse de Monteux. Un budget d’environ 10 000€ (sans compter les coûts du salaire de la coordinatrice, de la mise à disposition de la salle et du mobilier) dont 4 600€s donnés par une association a été nécessaire pour cette seconde édition depuis 2019, avec une vingtaine d’exposants, des animations en tous genres et près de 2000 visiteurs les 3 et 4 mai. Dans le même ordre de grandeur, un autre Salon vauclusien assuré par une agence événementielle a investi près de 10 000€ et a pu compter sur la présence de 60 exposants et 1 200 visiteurs. Les dépenses pour chaque édition sont de fait variables d’une organisation à l’autre : 800, 1000, 1500, 4000, 7000, 10 000€ (x 3 événements) sont les chiffres qui nous ont été communiqués par des petites et moyennes structures. Quant au nombre d’exposants invités, la fourchette est aussi large : d’une dizaine de prestataires jusqu’à 180.
500, 1 000, 2 000, 6 000… 22 000 personnes
Pour la toute jeune bourse aux mangas du foyer laïque de Courthézon, ce n’est pas la crise sanitaire mais la dissolution de l’assemblée nationale qui a impacté la fréquentation en 2024. « Lors de notre première édition, il y a eu des élections imprévues. Aucun élu n’a pu venir et ils ont dû s’excuser. Mais il y avait quand même du monde, car les Courthézonnais ont fait le déplacement. D’ailleurs, les exposants ont tous voulu revenir cette année ! » relativise Solange Bulga, bénévole de l’association qui gère la bibliothèque du village.
La dynamique des actions geeks et otakus brasse un nombre de visiteurs très différentiel. De quelques centaines pour les toutes petites manifestations à quelques milliers, voire à deux dizaines de milliers pour Avignon Geek Expo, le spectre est large. D’environ 8 000 visiteurs à sa première édition jusqu’à une moyenne de 22 000 ces deux dernières années, la Avignon Geek Expo est la manifestation attirant le plus de monde. Bien qu’il y ait un premier coût pour y participer (9€ en 2017 contre en moyenne 15€ en 2025), l’événement a multiplié les entrées par 2,8 en seulement 7 ans. La recette de ce succès ? Une formule qui marche depuis 2017 : être implantée dans la préfecture du département, investir un très grand espace pour y faire fonctionner toutes sortes d’animations, ainsi et surtout, garantir la venue des invités de prestige, notamment venus de l’étranger. À titre de comparaison, la Japan Expo de Marseille, événement phare de la région, a reçu 39 000 visiteurs (fréquentation en baisse) pour ses 15 ans cette année.
Les prochaines manifestations 2025
– Morières Pop Culture les 6-7 juin à Morières-lès-Avignon, 2e édition
– Bourse aux mangas le 14 juin à Courthézon, 2e édition
– Lub’ en jeux les 13-14 septembre à Lauris, 6e édition
– Bourse geek les 27-28 septembre à Sorgues, 12e édition
– Salon de l’arcade et du jeu vidéo les 18-19 octobre à Sorgues, 1ère édition
– Les Rencontres Internationales du Webtoon du 5 au 7 novembre à Monteux, 4e édition
– Days of Geek Aubignan les 22-23 novembre à Aubignan, 5e édition
-Salon du flipper et du jeu vidéo (dates et nouveau lieu inconnus), 8e édition avec le RPJ Games
-Journée mondiale du jeu vidéo à L’Isle sur la Sorgue (dates inconnues, novembre), 8e édition
Les cas particuliers
Aussi surprenant que cela puisse paraître, avec pas moins de 8 manifestations annulées ou abandonnées, il y a 5 ans un nouveau festival est né. C’est ainsi que du côté du Luberon, terre peu exploitée dans la cartographie geek, Lub’ en jeux tire son épingle à Lauris. En pariant sur une période sans horizon de l’année 2020, l’événement né en août de l’an 1 Covid a réussi à perdurer avec sa 6e édition prévue en septembre 2025. L’organisation, un collectif informel de joueurs, a su s’adapter à la législation du moment avec un système d’adhésion ayant permis d’animer les 2 premières éditions. À l’origine conçue pour être itinérante, la manifestation pose finalement chaque année ses valises au Café Villageois de Lauris, apportant confort d’accueil et attractivité. Durant le festival, ce ne sont pas moins de 25 bénévoles qui assurent l’animation, avec le soutien des salariés du café entre autres. Malgré les aléas climatiques et les dates fluctuantes de la période estivale, Lub’ en jeux attire jusqu’à plus de 700 personnes.
L’événement très attendu 100% Harry Potter, qui avait déjà permis la prévente de 7 600 billets en 2020 n’aura jamais lieu à cause de la crise sanitaire. Il a été remplacé en 2022 par la thématique plus large de l’imaginaire avec le Runanoria Festival (fantasy, fantastique, médiéval, steampunk…) dont la dernière édition remonte à août 2023. L’association, qui avait pâti du mauvais temps le 2e jour, n’a pour le moment pas donné suite à sa manifestation unique en Vaucluse.
Tout aussi unique sur notre territoire de par sa thématique et son nouveau public, le Festival World Wide Webtoon qui a précédé Les Rencontres Internationales du Webtoon (depuis 2024). Le webtoon, tendance internationale venant d’Asie, est une BD publiée en ligne permettant une lecture en vertical (scrolling). Le chiffre d’affaires mondial 2024 des webtoons est estimé à 3,2 milliards d’euros selon l’organisateur. Quant au festival vauclusien, il s’agissait d’abord de deux éditions tout public en 2022 et 2023, soutenues par la mairie de Monteux, avant que l’organisateur, la société White Dragon Event, ne s’engage complètement et uniquement pour les professionnels du livre et de la culture.
D’abord, en raison d’un public moins intéressé par le webtoon malgré le lien avec les mangas japonais. Ensuite, le manque de soutien des acteurs de la filière webtoon, française comme internationale. Puis l’éloignement et la communication difficile du lieu vis à vis du public susceptible de se déplacer. Enfin, la capacité organisationnelle d’une petite structure ne pouvant répondre à terme à la fois aux attentes du grand public et à celles des professionnels.
« Je n’ai pas distingué les coûts entre les jours pros et les jours grand public, mais en substance, ces 4 jours m’ont rapporté 4 000 €. C’est une petite économie, mais elle est au moins viable… » confie Sébastien Célimon, fondateur et directeur de White Dragon Event. La 4e édition, toujours 100% pro, se déroulera du 5 au 7 novembre à Monteux, avec pour thématique les webtoons africains.
“Les organisateurs se reconnaissent entre eux”
Avec une telle prolifération d’événements, quel que soit le type d’organisation, se pourrait-il qu’ils finissent par entrer tous en véritable concurrence, qu’ils se désolidarisent les uns les autres ?
« C’est amusant parce que souvent les organisateurs se reconnaissent entre eux » remarque François, de Geek Evolution. Par ailleurs, quelques-uns vont aider les autres dans l’organisation d’animations spécifiques, comme les concours de cosplay assurés par l’Association Science-Fiction Orange dans d’autres manifestations que la CSFO. Mais les organisateurs vont aussi exposer ou bénéficier d’une certaine visibilité sur un autre événement que le leur, pour y présenter leurs actions et y proposer des démonstrations.
Ces manifestations permettent d’ouvrir une passerelle entre les uns et les autres, peu importe la nature de la structure organisationnelle. Tous, bénévoles comme salariés, sont plus ou moins liés. Dans cette perspective, nous pourrions penser que cet écosystème geek permet de créer une certaine harmonie, qu’il existe une synergie totale entre toutes les manifestations. Relevons cependant qu’en termes de temporalité et de contraintes de lieu, plusieurs actions se retrouvent parfois très concentrées sur une même période, se suivent.
« Le secret, c’est la thématique. »
Ce qui parfois peut porter préjudice à certaines. Le public pourrait effectivement se lasser d’un week-end sur l’autre ou devoir faire un choix entre deux événements proches. « Si c’est pour avoir beaucoup, mais de la même chose X fois, avec un petit peu moins d’invités et un petit peu moins d’investissement, cela crée une multitude qui tire la qualité vers le bas. L’important, c’est que le public soit content, mais il manquerait la volonté de se démarquer par rapport aux autres, il faut garder une patte » suggère François.
Enfin à terme, selon une autre figure engagée parmi les organisateurs vauclusiens, de fait le risque serait de diluer l’identité des événements, d’en abîmer la cohérence : « Le secret, c’est la thématique. Un événement de ce type doit rester dans une ligne directrice claire, pour ne pas brouiller les frontières et perdre des visiteurs » souligne-t-il. Celui qui œuvre dans ce milieu depuis 30 ans ajoute par ailleurs comme prévision personnelle que « les événements dits geeks seront noyés dans des foires réservant un espace spécifique pour ce secteur ». Une tendance qui pourrait plus affecter le public averti que le grand public, si ce qui impulse ces animations, c’est-à-dire la passion pour une culture geek, diminue en légitimité.
Amy Rouméjon Cros