Le jeudi 9 octobre au cinéma Le Capitole Mycinewest au Pontet, Isabelle Le Bourgeois a livré devant un public attentif une conférence intense autour de son essai Vivre avec l’irréparé, récompensé par le Prix Littéraire de la Liberté Intérieure 2024. Un moment de partage, de questionnement et d’ouverture sur l’irréparable et l’irréparé dans nos vies.
La salle du Cinéma Le Capitole s’est faite, ce soir-là, le lieu d’une plongée dans les « abîmes ». Ancienne dirigeante d’entreprise, religieuse, psychanalyste et aumônière de prison (durant 13 ans à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis), Isabelle Le Bourgeois connaît intimement les chemins peu fréquentés de la souffrance et de la réparation. Sa conférence, tenue à l’invitation de la radio RCF Vaucluse, ne s’est pas contentée d’un exposé théorique mais a cultivé la proximité, l’écoute et l’interpellation.
Quand l’irréparable survient
Dès les premiers mots, elle a plongé dans la distinction essentielle de son ouvrage : l’« irréparable » — la mort, l’accident, l’humiliation, l’échec — et l’« irréparé », cette trace laissée par l’irréparable mais qui, par définition, reste ouverte à la réparation. Comme elle l’explique à plusieurs reprises, « la blessure a une dimension définitive, alors que dans l’irréparé, il y a une ouverture, quelque chose est encore possible ».

La méchanceté, la souffrance, la douleur et le mal
Lors de sa conférence, Isabelle Le Bourgeois replonge dans les questionnements qui l’habitent depuis l’enfance : la méchanceté, la souffrance, la douleur, le mal. « Petite fille, je ne comprenais pas pourquoi le mal agissait sur terre », confie-t-elle. Cette interrogation ne la quittera jamais. À 36 ans, elle bouleverse sa vie : elle quitte son compagnon, son métier de cheffe d’entreprise dans les assurances et entre dans les ordres, après une conversion aussi soudaine que radicale, elle dira même brutale.
Quelle est la place de Jésus dans l’enfer de la Terre ?
« Je voulais être près de Jésus pour comprendre pourquoi le mal agit sur terre », raconte-t-elle. Cette quête de sens la conduit en Amérique latine, au milieu des champs de canne à sucre. Pendant deux ans, elle partage le quotidien des coupeurs de canne et de leurs familles, vivant dans une extrême pauvreté. C’est là, dit-elle, qu’elle tente d’arrimer l’amour de Dieu et la réalité du mal.
La place de l’irréparé
De retour en France, Isabelle Le Bourgeois consacre treize années à l’aumônerie de prison, avant de rejoindre le Contrôle général des lieux de privation de liberté. C’est dans ces espaces qu’elle rencontre ce qu’elle nomme « l’irréparé ». Mais elle évoque aussi un troisième lieu de confrontation : « l’abîme de l’Église », celui où des prédateurs ont détruit des vies, dans un espace qui aurait dû être sûr. « Pourquoi y a-t-il en l’être humain autant de lumière et autant d’ombre ? Pourquoi Dieu permet-il cela ? », s’interroge-t-elle, avant d’ajouter avec certitude : « Et pourtant, je suis sûre qu’il existe. »

Dieu et la psychanalyste
Psychanalyste de formation, Isabelle Le Bourgeois a longtemps écouté « des personnes déposer de trop lourds sacs à dos ». De ces récits de blessures et de souffrance, elle a forgé une notion : l’irréparé. « J’ai écouté l’irréparable, mais je ne me suis pas laissée engloutir par lui. L’irréparé laisse de terribles traces qu’il faut regarder, examiner ensemble », explique-t-elle.
Aux antipodes d’un monde manichéen
Elle met en garde contre une lecture trop simple du monde : « Le piège serait de le couper en deux : les gentils avec Dieu, les méchants de l’autre côté. Tant qu’on n’a pas accepté sa part de responsabilité dans l’irréparable, on ne peut pas travailler sur l’irréparé. » Chacun, selon elle, porte en soi « ces abîmes-là » : la capacité à faire le mal, à le nier, à ne pas pouvoir l’entendre.« Il faut examiner le sac à dos, pièce par pièce, pour qu’il soit moins lourd et comprendre ce qui le constitue », poursuit-elle.
La vie au coeur des coupeurs de canne à sucre
Elle revient aussi sur son séjour au Mexique, marqué par la chaleur écrasante, les bruits et les odeurs d’un hangar partagé avec deux autres sœurs, au cœur de la misère humaine des coupeurs de cannes à sucre et de leurs familles. Ce sera, dit-elle, le lieu de sa deuxième conversion. « Dieu ne déserte aucun millimètre carré de sa création. Il était là, mystérieusement présent, tout comme il est dans les prisons, auprès des hommes condamnés. C’est aussi avec cette humanité-là qu’il faut continuer la route. »

Eclairer nos ombres pour nous métamorphoser
Enfin, elle conclut, en écho à la parole de Jésus dans l’Évangile :« Je ne suis pas venu pour les biens portants, mais pour les malades. » Pour Isabelle Le Bourgeois, Jésus est descendu aux enfers — non pas dans un au-delà abstrait, mais dans nos propres enfers humains. « Il est remonté avec la puanteur du mal, des atrocités, de la violence. Il remonte l’humanité dans ce qu’elle a de plus abîmé, de plus boueux. Nous sommes au creux de sa main, comme des nouveau-nés, la tête dans sa paume et le corps reposant sur son avant-bras. »
Au-delà du contenu, l’atmosphère de la soirée était de celles où l’on sent que la blessure ne reste pas un tabou. Une salle bien remplie, plus de 150 visages attentifs, des silences soutenus : voilà le décor d’une soirée qui ne se limitait pas à une conférence, mais à un possible réveil intérieur.
S’extraire de l’agitation et du prêt à penser
Dans un monde obsédé par la réparation immédiate, Isabelle Le Bourgeois invite à ralentir, à accueillir, à habiter l’irréparé. Sa conférence au Pontet ne promettait pas la disparition de la douleur mais un nouveau regard sur elle. Être libre, c’est peut-être apprendre à « vivre avec » plutôt qu’à « être débarrassé de ». Et accueillir l’irréparé, c’est enfin s’ouvrir à une vie profonde, marquée mais vivante.
Mireille Hurlin






















































