29 avril 2024 |

Ecrit par le 29 avril 2024

Patrick di Meglio, l’homme qui aimait les plumes

C’est dans le cadre des artistes qu’il promeut que François Cance, président d’Artothèque m’emmène dans la campagne luberonnaise. On y tâtonne, cherchant quelques repères dans une garrigue habitée de discrètes demeures. Dans cet endroit, la meilleure façon d’y trouver une improbable adresse est de s’y perdre. C’est là que nous rencontrons Patrick di Meglio, homme de presse devenu homme de plume. Tout un symbole.

Car sa carrière commence, véritablement, aux côtés de Jean-François Kahn, alors qu’il fonde l’Evènement du jeudi (1984). Ça tombe bien car Patrick di Meglio est un œil –terme utilisé pour évoquer une vraie sensibilité à l’univers graphique, à l’équilibre entre le texte et l’image, aux formes et aux couleurs-. Il sera co-fondateur de l’hebdomadaire et son directeur artistique durant 10 ans. Il dirige aussi ‘Paroles et musique’ et ‘Sciences et technologies’… Avant de rejoindre Christine Ockrent à l’Express, puis part pour de nouvelles aventures avec son toujours complice Jean-François Kahn, alors en pleine création de ‘Marianne’ en 1996.

Patrick di Meglio travaille la plume ‘un condensé d’ingénierie aéronautique d’une grande solidité et d’un graphisme absolu’ Copyright Mireille Hurlin

Ce que veut dire di Meglio, en Italien ?
« Le meilleur ou celui du milieu. Je ne suis ni l’un ni l’autre ». « Cependant, une plume pour la presse ? Cela interpelle, comment a commencé l’aventure ? » « J’avais arrêté la presse, alors je me suis remémoré mes désirs d’adolescent. J’étais attiré par les arts graphiques qui m’avaient mené à la presse, et avais laissé de côté les arts de la table, qui m’avaient ému. Durant un an, j’ai donc suivi cette seconde formation : cuisine, pâtisserie et œnologie. Objectif ? Racheter un hameau abandonné datant de 1 800, à Viels, où absolument tout était à refaire. Domaine que nous avons transformé, mon épouse Valérie et moi, en hôtel 3 étoiles et restaurant. C’était vraiment un lieu atypique. Ça a été une année de travail et de bonheur, de rénovation et de restauration.»

«Nous avons revendu l’affaire et nous sommes installés à Nantes,
au moment où la ville explosait, sur le plan culturel et architectural. C’est là que j’ai été approché par NCN Informations qui dirigeait une centaine de journaux en France. Il s’agissait de presse territoriale : Communes, Régions, Départements. J’ai travaillé à la conception de nouveaux journaux, conçu des maquettes, de nouvelles mises en page et voyagé au gré des rédactions. Mon métier restait le même, traduire graphiquement le texte, savoir de quoi l’on parlait et à qui l’on s’adressait. C’était à la fois technique et artistique. L’aventure s’est étendue sur 10 ans. Puis j’ai décidé de changer de vie. Nous avons quitté Nantes pour vivre à Albi où nous avons acquis une bastide de 100 m2 dans laquelle régnait une lumière incroyable. Nous étions face à la cathédrale.»

Les rachis de plume, une matière légère, entrelacée, que la lumière fait se mouvoir Copyright Mireille Hurlin

«Désormais nous vivons à Gordes.
Où je me laisse aller à ce que je suis vraiment, un artiste, car on ne devient par artiste, on naît artiste. Mes parents étaient droguistes. Je me souviens avoir été happé au fond du magasin où étaient stockés des futs de poudre de toutes les couleurs que l’on mélangeait à la chaux pour faire des enduits. Mes parents tremblaient d’y découvrir mes mélanges qui rendaient impropres à la vente les fûts que mes mains avaient visité. Je me rappelle aussi des sons produits par les bouteilles de gaz vides sur lesquelles je frappais avec une baguette pour en extraire d’étonnantes mélodies. J’ai toujours été attiré par le milieu artistique : musique, danse… Je trainais dans les coulisses de théâtre. J’aurais adorer devenir décorateur de théâtre… La vie est trop courte pour tout explorer.»

Comment l’on passe à la plume ?
«Je ramasse les miennes sur la plage et mes amis font de même. Je travaille sur de longs rachis (partie centrale et solide de la plume) –le plus long est celui du paon ou de certains faisans- et les dégarnis de leur barbes et duvets, pour ne conserver que l’arête centrale, le rachis.

Patrick di Meglio a foré 150 trous pour cette plaque d’ardoise traversée de plumes.
A chaque fois qu’il entamait les derniers trous, la plaque d’ardoise cédait, irrémédiablement fissurée puis brisée.
Il a dû répéter ce travail titanesque plusieurs fois avant d’y parvenir enfin.
Copyright Mireille Hurlin

«Comment en suis-je venu là ?
J’aime les accumulations. C’est une collègue de l’événement du Jeudi qui, venant d’acheter une maison en région parisienne me demandait des idées de déco. Or, une malle de l’ancien propriétaire était restée dans un appentis au fond du jardin. Elle m’indique d’y aller et j’y découvre des centaines de fagots de plumes d’ailes calibrées et ficelées en parfait état de deux oiseaux : des cigognes et des buses. Je n’ai pas su –je cherche depuis 30 ans- à quoi pouvait servir ce travail si méticuleux et précieux.»

«Puis j’ai oublié la caisse,
et un jour, en la rouvrant, dans notre cave à Nantes, je me suis aperçu que les plumes avaient étaient rongées par les mites. J’ai enlevé les bardes, poncé les rachis, -dont je retrouvais la ligne graphique magnifique- puis les ai assemblés les uns aux autres pour en faire des formes, ensuite reliées par des fils, ce qui constitue un mouvement, sur un fond d’où la lumière pénètre et rend vivante la forme. Je me suis mis à envisager inconsciemment des figures, souvent proches du cercle, d’une nuée. Je ne sais pas ce que cela veut dire.»

Patrick di Meglio mime l’arrachage de clous d’une très ancienne poutre devant cette toile tendue
qu’il a réalisée avec la rouille de clous forgés.
L’ensemble semble former une écriture que l’on aurait pu imaginer hébraïque
Copyright Mireille Hurlin

«Ce que cela représente pour moi ?
Il faut trouver les plumes, retirer les barbes, poncer, couper. Cela représente beaucoup de sérénité, c’est comme un travail méditatif. Je me sens bien. Pour la création, c’est la plume qui me dirige. Je travaille à plat pour ensuite présenter le travail verticalement. C’est là que je me rends compte du rythme et de l’émotion présente. Si je n’ai pas approché le mouvement voulu, je dois tout recommencer. C’est aussi là que mon épouse, Valérie, intervient. Elle a l’ œil absolu et décrypte en un rien de temps ce qui fonctionne de ce qui n’opère pas. Parfois il faut ajuster un ou deux éléments, parfois il faut tout défaire et refaire.»

«En arrivant dans la bastide d’Albi je me suis mis à beaucoup bricoler.
J’ai, ainsi, retiré, au pied de biche, les clous forgés d’une très belle poutre sur laquelle reposait un plancher. J’ai déposé un à un les clous sur la toile, en les vaporisant de vinaigre blanc afin que la rouille s’y dépose. Au bout d’un mois, l’œuvre s’était dessinée seule. J’ai conservé tous ces clous forgés un à un par un forgeron de temps très anciens.»

Quand le hasard se fait art. C’est en allant à la déchetterie que Patrick di Miglio a trouvé cette œuvre, qu’il n’a pas retouchée. Copyright Mireille Hurlin

«Comment me fais-je connaître ?
par le circuit classique : exposition, émissions, articles. Je suis le plus heureux des hommes lorsque je réussis à me faire connaître, à vendre, mais il n’y a pas cet enjeu financier d’un artiste qui a investi et tremble de vivre de son travail, même si je suis en même temps très fier et respectueux lorsque cela se produit.»

Patrick di Meglio, artiste plasticien sera présent lors de l’assemblée générale d’Artothèque qui a lieu ce jeudi 26 octobre à partir de 17h pour une visite de la collection de la Fondation Blachère puis l’Assemblée générale à 18h30 au café de la gare à Bonnieux. Le courriel de l’artiste : dimeglio44@orange.fr

Patrick di Meglio et François Cance dans le mas de l’artiste plasticien à Gordes, Copyright Mireille Hurlin

Patrick di Meglio, l’homme qui aimait les plumes

L’association Artothèque propose une visite de la Fondation Blachère à Bonnieux suivie de son Assemblée générale jeudi 26 octobre au Café de la gare.   

La visite de la Fondation Blachère aura lieu à partir de 17h suivie, à 18h, par une allocution de Loriane Aubinais, chargé du centre de la faune sauvage à Buoux qui présentera son activité.

A 18h15, trois artistes évoqueront leur parcours et leurs œuvres : Isabelle Baticle, Jenny Back et Patrick Di Miglio. Enfin, Elise Hanon-Ruller évoquera son parcours professionnel.

L’assemblée générale commencera à 18h30 avec le rapport moral et financier du président, François Cance ; les réalisations de l’année 2023, les projets 2024.

Pour les absents
Merci d’adresser vos pouvoirs remplis et signés à Artothèque, François Cance, 221, rue Frédéric Mistral, 84 220 Cabrières d’Avignon ou par mail à artothequecance@orange.fr

A 20h, dîner au restaurant le Café de la gare pour un menu, tout compris, à 32€. Merci de prévenir François Cance pour la réservation de votre repas.

Le Fondation Blachère
La Fondation Blachère – créée en 2003 et issue de l’entreprise familiale Blachère illumination– est dévolue à la scène contemporaine africaine. La collection de la fondation compte 2 000 œuvres et propose une boutique dont les objets proviennent de 150 artisans et designers africains. La boutique est ouverte du lundi au samedi toute l’année de 10h à 12h30 et de 14h à 18h. 04 32 52 06 15 contact@fondationblachere.org

Les infos pratiques
Jeudi 26 octobre. Visite de la collection Blachère à 17h30 et Assemblée générale d’Artothèque à 18h30. Réservation obligatoire auprès de François Cance au 06 80 05 53 07 artothequecance@orange.fr
Mireille Hurlin

Les Décorations estivales de Blachère illumination

Patrick di Meglio, l’homme qui aimait les plumes

François Cance, président d’Artothèque à Cabrières d’Avignon organise depuis presque 30 ans des rencontres entre les artistes et les publics afin que l’art s’épanouisse sur le territoire. En ce mois d’Août on ira à la Maison Victoire à

Dimanche 27 août à Mane, dans les Alpes-de-Haute-Provence, à partir de 11 heures, les adhérents et amis de l’association Artothèque auront l’occasion de visiter l’atelier du peintre Dominique Paulin, dans l’ancienne maison de l’éditeur Robert Morel.
Il sera possible d’y pique-niquer.

DR Dominique Paulin

A voir actuellement
L’association culturelle Artothèque propose actuellement la découverte des œuvres d’Anne K, sculptrice et du peintre Kristian Desailly à la Maison Victoire.
La Librairie Le Bleuet, quant à elle expose actuellement les photos de Hans Silvester.
Et également les sculptures d’Elisabeth Von Wrede ainsi que des photos de Hans Silvester au Phébus à Joucas.

Dr Hans Silvester

Les infos pratiques
Maison Victoire. Place de l’Ancienne Mairie, à Cabrières-d’Avignon. Les visites ont lieu sur rendez-vous, après inscription au 04 90 05 01 54 ou par courriel client@maisonvictoire.com 

Les infos pratiques pour Mane le 27 août
Pour le 27 août, la visite de l’atelier du peintre Dominique Paulin, à Mane. A partir du village de Mane, prendre la nationale 100. Prendre direction ‘Prieuré de Salagon’ Dans la direction de la Maison des Produits du Pays Passer devant le Prieuré et continuer pendant un kilomètre. Un panneau à gauche indique la route des ‘Hautes Plaines’. Passez le petit pont, vous montez tout droit dans la colline, à flanc de garrigue…et malgré bosses et chemin de cailloux, n’allez ni à droite ni à gauche. Après quatre kilomètres, vous arriverez devant une barrière et un rocher blanc. C’est là.

En savoir plus sur Dominique Paulin
«Née dans une famille d’artistes, Dominique Paulin exerce le métier de peintre en parallèle de sa carrière de médecin. Ce n’est qu’en 2008 qu’elle dévoile au public les œuvres qu’elle peint depuis toujours.»

Matière et couleurs
«Haute en matières et admirable coloriste, elle joue les alchimistes mêlant huile, pastel et encre à des matériaux inattendus (brou de noix, cendres, micas,…). La matière travaillée donne corps à un monde en création, où le geste et la lumière structurent la toile. Elle parvient à capter l’infime, l’apprivoiser et finalement le révéler.»

Le devenir de l’homme
«La question que vient nous poser Dominique Paulin est celle du devenir de l’homme et de son espace : notre planète. Catastrophes naturelles, incertitudes, angoisse de l’inconnu, nourrissent son oeuvre qui appréhende l’art comme un moyen d’anticipation, d’exploration des issues possibles. Elle peint la série « Tsunami » quelques mois avant le tsunami qui a secoué le Japon en 2011, comme une prémonition, et dont « Tsunami et centrales » résonne puissamment.»
Extraits de ‘Dominique Paulin, un chant du Monde’ par Christian Burrus, Commissaire de l’exposition ‘Spacialités’, à l’espace Cardin.

DR Elisabeth Von Wrede

Patrick di Meglio, l’homme qui aimait les plumes

Il était une fois Marc Nucera, le confident des arbres. Celui qui sculptait l’éternité de ces géants aux âmes pas encore envolées. Muni de sa tronçonneuse, il met au jour colonnes, bancs verticaux ou colosses en torsion, formes plissées, prieuses et autres caryatides … Le plus étonnant ? Normalement imposantes, ces sculptures en pruniers, platane, cyprés, cèdre, pin Douglas se fondent en extérieur comme en intérieur, distillant force douce et sérénité, là où elles se posent. Le plus étrange ? L’impression de ce qu’elles communiquent avec ce qui les entoure.

Là où tout commence

Rendez-vous à Noves, pas loin de la Mairie, en entrée de village. Un chemin buissonnier pour rencontrer un homme très discret. Un minuscule parking improvisé sous les frondaisons, un autre petit chemin débouchant sur une clairière habitée. Il y a là comme un refuge, sorte de maisonnette en bois, sur pilotis dont les fenêtres en bandeau laissent le regard épouser, sans entrave, le dehors. Un peu plus loin, comme venue de nulle part, une galerie met en scène les œuvres du maître des lieux et de ses amis artistes. Comme un sanctuaire silencieux dédié à la méditation dont les œuvres seraient les gardiennes «C’est mon lieu de présentation», indique Marc Nucera. Plus loin, sous un hangar, les sculptures géantes se sont organisées en groupe. Difficile d’en discerner la beauté, la particularité, d’en appréhender l’émanation. Elles discourent entre elles, sages parmi les sages.

Marc Nucera et ses salons de jardin ré-emboîtés

Mais l’essentiel est ailleurs

L’essentiel est cette clairière, paysagée, ponctuée d’œuvres en murissement ou en achèvement. L’espace compte de multiples perspectives où, partout, le regard s’échappe et ne bute sur rien, « alors qu’en réalité il est très clôturé », sourit Marc Nucera. Et pour un peu de volupté, au cœur de la fournaise de l’été, un bassin un peu haut, gardé par une sculpture bleue, prête à s’élancer, tel un oiseau géant, pour renforcer l’azur du ciel. C’était un vieux prunier. «Je ne peux pas me résoudre à faire du bois de chauffe des arbres qu’ils soient modestes ou aient été des monuments, comme les grand arbres. Je crois que c’est pour cela que je me suis mis à les sculpter,» observe Marc Nucera. Au creux du jardin, au détour des multiples paysages façonnés, des œuvres d’art monumentales, des buissons en topiaire. Au sol,  des pâquerettes indiquent le chemin… Et l’antre, à ciel ouvert, à la fois proche de tout et pourtant dissimulée, cachée, livrera peut-être, aujourd’hui, un peu de ses secrets.

Rencontre

Marc Nucera est arrivé doucement à notre rencontre. C’est François Cance, président d’Artothèque qui nous invite à découvrir le travail de cet ami artiste avec Dominique Vingtain, conservatrice du Palais des papes et du Petit palais à Avignon. Yeux clairs, Bonnet enfoncé sur la tête, silhouette vive mais pas lent, Covid oblige, nous nous saluons de loin. Nous déambulons dans la clairière où l’atmosphère, hors du temps, émerveille. «J’ai appris, en travaillant avec Nicole de Vésian que l’art topiaire, inspiré des jardins japonais, ne rigidifiait pas l’image. Ici, il est traité avec notre culture et le paysage qui nous entoure. On ne construit qu’avec nos acquis, notre vécu, notre lieu. C’est un métissage culturel. Ce qu’il y a en nous est plus fort que nous et nous rattrape. On le modifie et on le transporte. Là, on travaille dans l’onctuosité de la matière.» Sa voix est basse et légèrement grave et son élocution, à ce quelque chose de lent, comme d’un homme dont chaque mot est pesé, livré au plus proche de sa pensée. 

François Cance, Marc Nucera et Dominique Vingtain

Le topiaire avec Nicole de Vésian

«Il y a 25 ans, j’ai été élu meilleur artisans du Var pour le suivi que je faisais sur les vieux arbres, entame Marc Nucera. On me confiait des arbres classés, un travail d’élagage de taille douce. Je maîtrisais ces patriarches, les amenant à leur pure et propre expression, pour leur liberté, leur épanouissement, leur déploiement. Avec cette bourse, j’ai pu m’acheter ce jardin –au départ un peu plus d’un hectare de ronces, de vieux pruniers, thuyas et cyprès –  et commencer à sculpter avec l’existant. Dans un même temps, Nicole de Vésian –ancienne styliste de Hermès connue mondialement pour avoir insufflé le jardin à la française contemporain, dont le jardin de la Louve à Bonnieux- m’a montré son travail de topiaire. J’y ai trouvé de la fluidité de la souplesse. Là, nous sommes sur de la sculpture du vivant avec des végétaux qui ont leur identité propre, l’arrêtant à un moment donné de son évolution pour conserver cette première tendance. Le paysage est un jeu d’optique, on travaille sur des transversales pour ne pas arrêter le regard.»  

Ce que je suis

«Mon père était ébéniste, je suis né dans la sciure de bois, puis avec mon travail d’élagage sur les vieux arbres, mon outil est resté la tronçonneuse. Je dis souvent : ‘Je n’ai pas fait les Beaux-Arts, j’ai fait les beaux arbres !’ Ce que je recherche dans mes sculptures ?  Le mouvement. Ce que je fais ? De la danse autour de l’arbre. Je tente une improvisation parce qu’il n’y a pas de retour en arrière possible. J’assume mon acte. Je donne une humanité à la sculpture. C’est l’imperfection qui la rend au moins émouvante. Une sculpture réussie ? C’est toute son aptitude à capter la lumière et à la redistribuer. Je respecte les failles, les blessures de l’arbre. Mon souhait ? Redonner la vie à ce bois. Je travaille ce qui est en vertical en vertical et ce qui est horizontal de façon horizontale. L’arbre à la verticale, est sanglé entre deux poteaux, tout comme l’échelle depuis laquelle je vais travailler. Je sculpte en trois étapes : la forme en général qui est la ligne directrice, la deuxième étape m’amène à creuser, évider, animer et, après vient le travail de la patine. Je ne suis pas coloriste. Derrière une couleur il y a le souci de préserver la sculpture», bleu pour cause de cuivre issu de la bouillie bordelaise, ou encore cet aspect foncé du à l’huile de lin. «J’achète mes bois à des amis forestiers qui viennent de Lozère ou d’Ardèche. Mes acheteurs ? Ce sont des collectionneurs privés. Ils viennent ici, je les accueille et présente le travail de l’année ou de la saison. Avant, ils exposaient mes sculptures dans leurs parcs et jardins, aujourd’hui elles sont entrées dans leur intérieur.»

Les sculptures monumentales sont abritées en attendant de rejoindre des collections privées

Ce qui se passe

«On ne le voit pas et on ne le sent peut-être pas mais il y a du mouvement dans l’arbre et Marc semble grossir ce mouvement pour qu’on le voit, et cela passe par son corps qui danse autour de l’arbre lorsqu’il le sculpte», observe Dominique Vingtain. « Oui, il y a toute cette énergie, répond Marc Nucera, il y a toute cette puissance intrinsèque de la nature, il y a des failles que je n’ignore pas et avec lesquelles je travaille, à construire, à animer la matière… Pour pérenniser l’arbre. La singularité de mon travail ? Tout cet éventail de formes, d’inscription : drapés, ciselés, torsion… Je créé environ 15 sculptures par an. Ma définition d’une sculpture réussie ? Ça n’est pas la sculpture elle-même mais le dialogue, l’ouverture qu’elle instaure autour d’elle, et ce qui en émane en termes d’atmosphère. Mon travail est ma signature, même dans des formes très différentes, on la reconnaît. J’ai aussi fait des salons de jardin gigognes avec des troncs de 6 m de long comprenant des fauteuils, des banquettes. Une fois l’ensemble ré-emboîté, on retrouve l’arbre à l’identique et chaque arbre, souvent du platane, est traité de façon différente.»  

Intimité

Mon père était ébéniste et faisait de la marqueterie. J’étais émerveillé par son travail. Il disait : ‘Applique toi dans ce que tu fais.’ J’ai eu deux grands mentors : Alain Davididou et Gérard Drouillet, peintre à Eygalières. Ma réputation ? Je la dois à 30 ans de travail, mais j’ai mis 15 ans à dire que j’étais sculpteur. Quand on est autodidacte on n’ose pas dire que l’on est artiste. C’est quoi un artiste ? En France on est répertorié, si on n’est pas dans la bonne case, on perturbe un peu. Lorsque je présentais mon travail à quelques institutions, j’étais refusé parce qu’on me disait : ‘Vous n’avez pas fait les Beaux-Arts, vous n’êtes pas sculpteur !’ Ça a été très lent, très difficile. Je me sentais illégitime et on faisait tout pour je le ressente ainsi, jusqu’à ce que je me rende compte qu’être artiste c’est être hors cadre, justement. Ceux qui sont légitimes sont justement dans le cadre et sont prisonniers de quelque chose. Moi, je veux être totalement libre dans mon expression, c’est ce qui sauve ma sculpture. Ce qui m’intéresse ? Aller au-delà du beau.»

Ouvrage

Les sculptures de Marc Nucera‘. Monographie. Préface de Chantal Colleu-Dumond. Textes d’Elisabeth Couturier et Françoise Bertaux, photographies de Bruno Suet avec la collaboration de Michel Jouve et Joanna Maclennan. Editions Actes Sud. Mars 2020. 32€. www.actes-sud.fr

https://www.youtube.com/watch?v=ydwDVUPoC_A


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