‘La dérision du Christ’ de Cimabue, trésor national du 13e siècle, est actuellement visible au Petit Palais jusqu’au 19 octobre. C’est, sans doute, l’un des plus anciens tableaux acquis par le Louvre et exceptionnellement prêté à la Ville d’Avignon dans le cadre d’un partenariat renouvelé, initié en 1976.
Mais avant tout, l’histoire exceptionnelle de ce tableau retient notre attention. Tout a commencé par la découverte incroyable d’une peinture sur bois accrochée au mur de la cuisine d’une habitante âgée de l’Oise. Le tableau, plutôt sombre, recouvert de plusieurs siècles de poussière, semblait y avoir toujours séjourné. Puis voici que sa propriétaire est contrainte de partir en Ehpad (Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes).

Un petit tableau crasseux et oublié en peuplier de 25,8 sur 20,3cm
On ne sait comment, mais cette sorte ‘d’icône’, comme le pense ses détenteurs, se retrouve entre les mains d’un commissaire-priseur dont l’instinct et l’expérience, s’éveillent immédiatement au contact de l’objet. L’homme partage cette découverte avec des experts qui subodorent tenir entre leurs mains un tableau à la valeur inestimable. Et cette découverte va révolutionner l’histoire de l’art.
Une révolution dans le monde de l’art
Voici justement, que le monde de l’art bruisse de toute part. «Le nom de Cimabue, commence à sortir, précise Sébastien Allard, directeur du département des peintures du Musée du Louvre qui a connaissance de l’émergence de cette œuvre via un ‘certificat d’autorisation de sortie du territoire’’. Il se penche avec ses équipes sur ‘la Dérision du Christ’ et pense au travail du peintre Florentin. Le tableau est classé Trésor national ce qui interdit sa sortie du territoire et permet, au terme de 30 mois d’acquérir le tableau. »

Les experts mènent l’enquête
«Mais entre-temps, le tableau a été vendu lors d’une vente publique. Le Louvre va activer tous ses réseaux et entamer toutes les procédures administratives nécessaires pour l’acquisition de ce trésor national, à hauteur de 19M€, en 2023. Ce qui est incroyable ? Nous avions rapproché ce tableau de deux autres petites œuvres, de même format dont l’une se trouve à Londres et l’autre à New-York. Chacun faisant de son côté, des études de laboratoire.»
La preuve par les trous d’insectes
«Nous remarquons que la pièce du musée de Londres comporte des trous de vers à bois qui correspondent aux mêmes trous de vers que ceux de notre tableau. Là, nous avons eu la certitude qu’il s’agissait, au tout début, d’un panneau de 4 scènes dont la Dérision du Christ et la flagellation -qui se trouve à New-York- qui avait été découpé. Nous disposons donc de trois scènes sur 4. Peut-être que cette dernière aura disparu définitivement ou bien qu’un jour, elle resurgira. Il s’agit d’une œuvre de Cimabue, autour de 1280, sans doute commandée par des Frères Franciscains, qui a ensuite été découpée. Le petit tableau a ensuite été restauré durant une année et a mis en évidence le bandeau qui recouvre les yeux du Christ –scène relatée dans la bible- alors qu’une ancienne restauration avait peint des yeux sur celui-ci.»
Pourquoi l’œuvre est majeure
«Parce qu’elle manifeste le tournant, le passage du monde symbolique très influencé par l’art Byzantin à une représentation naturaliste ou réaliste : une vraie scène avec une vraie violence, le tout avec un début de perspective. C’était une acquisition tout à fait capitale. Les spécialistes soulignent son importance dans l’histoire de l’art et sa qualité esthétique.»
«Il s’agit d’un épisode de la passion du Christ. Celui-ci est présenté à la foule, il a les yeux bandés tandis que la foule lui demande de ‘faire le prophète’ et dis-nous qui t’a frappé. Pour la 1ere fois Cimabue peint des muscles en tension, pour suggérer la violence de l’épisode.»

Un prêt exceptionnel du Louvre à Avignon
Voici que cette œuvre inestimable –estimée aujourd’hui à 24M€- est prêtée par le Louvre à la Ville d’Avignon pour faire rayonner le Petit Palais parce que justement, l’ancienne livrée cardinalice détient d’autres merveilleux trésors comme la collection de peintures italiennes rassemblées par le marquis Campana dans la première moitié du XIXe siècle et constituant un dépôt exceptionnel du musée du Louvre et un ensemble de peintures et sculptures provençales du Moyen Âge déposées par le Fondation Calvet – Etablissement public communal. Pourquoi ce partenariat ? Mais parce que le Louvre est en réalité le grand partenaire depuis 1976 du Petit Palais, qui, ça tombe bien, bien que face au Palais des papes ne bénéficie pas de la même aura et donc de la même fréquentation. D’ailleurs la muséographie du Palais des papes va être complètement revue pour justement mieux inclure, dans l’ensemble Palais des papes et Pont Saint-Bénézet, le Petit Palais.
Les infos pratiques
Le petit Palais. Musée ouvert et gratuit. Mars, Avril, Mai, Juin 10h-13h / 14h-18h. Juillet, Août, Septembre 10h-13h / 14h-19h. Place des archevêques, place du Palais à Avignon. 04 90 86 44 58 et musee.petitpalais@mairie-avignon.com
Elles ont dit
Cécile Helle, maire d’Avignon et Laurence des Cars, présidente-directrice du musée du Louvre
« Dans l’élan de la nouvelle convention de partenariat renforcé entre le Louvre et la Ville d’Avignon, le musée du Petit Palais – Louvre en Avignon et le musée du Louvre sont heureux d’annoncer le prêt exceptionnel de La Dérision du Christ de Cimabue (vers 1240-1302). Ce tableau rarissime du grand peintre florentin, classé Trésor national, a été acquis en 2023 et présenté pour la première fois au public dans l’exposition Revoir Cimabue qui vient de fermer ses portes au Louvre. Ce petit-panneau de bois de 25,8 cm sur 20,3 cm, inconnu jusqu’à sa redécouverte chez des particuliers en 2019, témoigne d’un moment charnière dans l’Histoire de l’art et d’une invention qui contribuera à renouveler la peinture, aux prémices de la Renaissance. »
« Ce prêt exceptionnel au musée du Petit Palais – Louvre en Avignon ouvre la voie à un projet architectural et muséographique ambitieux pour le musée, qui se concrétisera à l’horizon 2029. Il souligne aussi l’engagement conjoint du musée du Louvre et de la Ville d’Avignon pour remettre en valeur le dépôt exceptionnel et sans équivalent en France, opéré dès 1976 par le département des Peintures du Louvre au Petit Palais. 320 oeuvres entre le XIIIe et le XVIe siècle forment un ensemble unique au monde, l’une des plus importantes collections de primitifs italiens.
À cette occasion, la Ville d’Avignon et le musée du Louvre dévoilent aussi la nouvelle signature graphique du musée créée par le studio M/M (Paris), qui a puisé son inspiration dans les tableaux eux-mêmes, nourris par les représentations de livres et les inscriptions qui émaillent toute la collection.
